• El cantor

Publié le par 67-ciné.gi-2006













El cantor drame de Joseph Morder

avec :
Lou Castel, Luis Rego, Françoise Michaud, Talila, Rosette, Pierre-François Desgeorge, Lucette Filiu, Abraham Leber, Solange Najman, Robi Morder, Henri de Camaret, Alexandra Stewart, Harold P. Manning, Joseph Morder et Patrick Zocco

durée : 1h30
sortie le 15 mars 2006

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Synopsis
A la grande surprise de William, son cousin Clovis, qu'il n'a pas revu depuis une trentaine d’années, arrive de New York pour lui rendre visite. Les retrouvailles entre les deux hommes font naître mille souvenirs : toujours aussi complices, ils deviennent vite inséparables, revivant, l'espace d'un instant, leurs jeunes années… Seule Elizabeth, épouse de William, qui vient de perdre son père, ne partage pas leur gaieté.
Pourtant, peu à peu, le charme de Clovis, descendant d'une lignée de célèbres cantors, gagne tout le monde, y compris Elizabeth. Et s'il n'était pas rentré en France uniquement pour revoir son cousin ? Et si la flamme des vieux chants yiddish, ceux de son père et de son grand-père, s'était soudain ravivée ? Entre humour et nostalgie, Clovis tente de renouer avec son passé et ses racines, redevenant, pour quelques jours, El Cantor…



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Entretien avec Joseph Morder
Franck Garbarz : « Comment avez-vous eu envie de devenir réalisateur ? »

Joseph Morder : « Je suis né à Trinidad et Tobago, dans les Antilles britanniques, et j'ai vécu en Equateur de l'âge de 3 à 12 ans, avant de m'installer en France. En Amérique latine, comme on voyait essentiellement des films hollywoodiens, j'ai surtout été nourri aux comédies musicales de Vincente Minnelli et aux mélodrames de Douglas Sirk ! J'ai découvert la Nouvelle Vague une fois que je suis arrivé en France. Mais aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu le désir de réaliser des films. Pour mes 18 ans, ma mère m'a offert une caméra Super 8 avec laquelle j'ai commencé à filmer le jardin des Tuileries au mois d'octobre, qui est aussi le mois de mon anniversaire… »

F. G. : « Quelle évolution votre cinéma a-t-il suivi d'hier à aujourd'hui ? »

J. M. : « Enfant, quand je me demandais quel genre de cinéma je voulais faire, je savais avec certitude que je souhaitais réaliser des films de fiction. Dans le même temps, j'avais entamé l'écriture d'un journal intime. Je me suis alors posé la question : est-ce que mes films doivent être autobiographiques ou pas ? C'est récemment que j'ai compris que la réponse à cette question se situait entre les deux. Car, pour moi, le journal intime filmé est un banc d'essai d'écriture pour les films à venir : il a pris une place de plus en plus importante par accident, parce que les gens ont commencé à s'y intéresser. J'ai été intronisé pape de l'underground alors que j'ai longtemps eu envie de mettre en scène des films classiques, voire hollywoodiens ! Ce sont les circonstances qui en ont décidé autrement. »

F. G. : « La notion de Juif tropical traverse tous vos films… »

J. M. : « Je considère que c'est un cadeau du ciel que d'avoir vécu une partie de mon enfance en Amérique du Sud dans les années 50-60, en tant que Juif d'origine polonaise : je me sens fondamentalement d'origine européenne - mes parents parlaient yiddish à la maison - tout en n'ayant connu, petit garçon, que les Tropiques. C'est cette ambivalence que traduit l'expression Juif tropical. »

F. G. : « Pour vous, la judéité se vit dans la diaspora… »

J. M. : « Tout à fait. Je me considère symboliquement comme un Juif allemand, même si je suis d'origine polonaise. C'est ainsi que Berlin est une ville que j'aime profondément, alors que je n'ai aucune raison de l'aimer : c'est ce que j'appelle un amour paradoxal. En un sens, El Cantor est un film austro-hongrois : dans le cabinet d'Elizabeth, on voit une carte de l'Europe d'avant la Première Guerre Mondiale qui évoque la Vienne des années 1900 et le Berlin des années 20. »


F. G. : « Comment est né El Cantor ? »

J. M. : « Comme souvent, le film est né d'une multitude d'événements et de hasards… En 1987, je venais de tourner L'Arbre mort, dans lequel mon ami Philippe Fano jouait. Parfois, pour se détendre, il chantait : je me suis alors dit qu'il avait une voix magnifique et que j'aimerais lui offrir un rôle où il chante. Un peu plus tard, j'ai eu l'idée du personnage de cantor, alors même que ma culture juive est très rudimentaire. J'aimais bien la consonance hispanisante du mot, d'autant que Philippe Fano est lui-même d'origine espagnole. On peut donc dire que le film est né du désir de voir un ami chanter ! »

F. G. : « Bien plus qu'une simple toile de fond, la ville du Havre est un personnage à part entière. »

J. M. : « Absolument. Depuis le début, je voulais que le film se déroule dans une ville indéterminée pour qu'elle ait une portée plus symbolique. Le Havre me fait penser à des villes comme Berlin ou Madrid, qui n'ont pas une beauté immédiate, mais une vraie dimension intérieure. J'ai été attiré par la lumière et les espaces du Havre qui vient d'ailleurs d'être classée au patrimoine de l'humanité par l'Unesco. D'autre part, Le Havre est une ville reconstruite - la guerre y est omniprésente - et il me semblait donc logique d'y tourner El Cantor. »

F. G. : « Le Havre est aussi une ville ouverte sur la mer et l'Amérique… »

J. M. : « Oui, c'est une ville portuaire, et il m'a semblé évident que Clovis devait arriver d'Amérique par paquebot. Je suis moi-même arrivé en Europe par la mer et, lorsque ma mère est partie en Amérique latine après la guerre, elle a embarqué au Havre. J'avais le sentiment qu'ainsi, la boucle était bouclée… »

F. G. : « Il y a aussi une dimension atemporelle dans le film, y compris dans la diction des comédiens. »

J. M. : « C'est ce que j'appelle la modernité : je pense qu'on peut être plus moderne en parlant un français élaboré, même s'il est parfois émaillé d'énormes fautes. J'ai donc beaucoup insisté pour que les comédiens prononcent chaque syllabe et soignent leur diction. C'est ce qui, pour moi, rend les films atemporels. J'ai toujours aspiré à être un cinéaste classique car, selon moi, l'avant-garde réside dans le classicisme. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que mon maître au cinéma soit Ozu …
D'autre part, j'aime mêler cette dimension atemporelle à l'époque contemporaine : c'est pour cela qu'un personnage sort un téléphone portable dont la sonnerie évoque celle d'un téléphone en bakélite. Ce n'est pas la vraisemblance que je recherche, mais la vérité des sentiments.
»


F. G. : « Le long plan fixe de la chanteuse du cabaret et le travelling sont réglés avec une précision quasi mathématique. »

J. M. : « C'est un film qui a envie de plaire, mais qui ne joue pas pour autant sur la séduction permanente. Le spectateur doit fournir un petit effort pour accepter d'entrer dans le film. Deux plans, en effet, représentaient un enjeu important : le travelling qui dure environ 5 minutes et le long plan fixe de la chanteuse. Le travelling est d'ailleurs le seul mouvement de caméra du film : c'est un mouvement immense, d'une longueur de 100 mètres, que je ne voulais surtout pas découper. Je suis conscient d'aller à contre-courant des codes habituels : dans une comédie - et pour moi, El Cantor est aussi un film burlesque -, la caméra se rapproche en général des personnages au moment des gags, alors que je ne m'en rapproche jamais. Lorsque Clovis et William arrivent sur le quai ou qu'ils s'écroulent sur le portier, je reste en plan large, car c'est leur corps qui m'intéresse et la manière dont ils s'inscrivent dans l'espace. Je veux solliciter le spectateur pour qu'en un sens, il se fasse son propre zoom avant. C'est la même chose pour le plan de la chanteuse : je n'ai pas voulu sous-titrer la chanson en yiddish, car je pense qu'on sent ce qu'elle raconte, et on n'a pas besoin de comprendre la langue pour cela. Avec ce plan-séquence rapproché sur la chanteuse, je veux qu'elle s'adresse directement au spectateur. Pour moi, classicisme signifie aussi radicalité. »

F. G. : « Il se dégage du burlesque dont vous parlez une poésie étonnante, comme dans la scène de danse improvisée devant le cabaret. »

J. M. : « Avant le tournage, j'avais recherché diverses manières de tourner ce plan, en utilisant même un story-board, comme pour le reste du film. Au final, j'ai compris qu'il valait mieux opter pour un dispositif très simple en positionnant la caméra face aux personnages, comme s'il s'agissait d'une scène de théâtre. J'introduis alors une fausse réalité puisque Talila se met à chanter alors qu'il n'y a pas d'orchestre - mais j'assume totalement cette théâtralité qui, pour moi, évoque Broadway… J'aime beaucoup cette frontalité, ce côté théâtre filmé à la Guitry, qui, dans ma bouche, n'a rien de péjoratif : au contraire ! »

F. G. : « Vous jouez même dans plusieurs plans du film d'une grande symétrie. »

J. M. : « Je reconnais que je suis un obsessionnel de la symétrie - tout en adoptant parfois une asymétrie totale ! Par exemple, lorsque Clovis et William sont face à face, avec la ville en arrière-plan, je suis allé jusqu'à faire déplacer le plan au télécinéma pour que les deux personnages soient parfaitement centrés. Dans le même temps, il y a des plans où les personnages sont complètement sur le côté : je n'aime pas les situations intermédiaires, ce qui s'explique par mon goût pour la radicalité. »

F. G. : « Vous rythmez le film par des fondus au noir, qui évoquent le découpage d'un livre. »

J. M. : « Oui, car chaque fondu au noir correspond à la fin d'une journée et donc d'un chapitre. Outre les sept chapitres, le film comporte un entracte : alors que Clovis et William sortent du cabaret totalement éméchés, le plan reste vide un instant, avant qu'une famille d'immigrants fantômes ne traverse la scène. Pour moi, ce plan fugace résume le film : on y trouve à la fois une dimension burlesque et tragique. »


F. G. : « El Cantor évoque l'importance de la transmission et la souffrance liée à la rupture de la filiation. »

J. M. : « Mes films précédents ont souvent parlé du rapport à la mère, et c'est sans doute la première fois que j'aborde le rapport au père. Non seulement la thématique de la transmission m'occupe beaucoup l'esprit en ce moment, mais c'est aussi le moteur du mélodrame : un fils disparaît pendant vingt ans, avant que les retrouvailles ne se fassent. C'est un film qui parle de l'absence, de la disparition et, plus largement, de la mémoire détruite par la Shoah. »

F. G. : « Vous jouez beaucoup sur les non-dits. D'ailleurs, la scène où Clovis retrouve son père est étonnamment courte et on peut se douter que ce qu'ils ont à se dire reste hors champ… »

J. M. : « Absolument. Je joue sur les non-dits et sur la frustration, car ces retrouvailles sont aussi une frustration. J'ai délibérément gommé tout pathos : le père prend son fils dans ses bras, mais le repousse aussitôt après. Malgré une absence de plus de vingt ans, il ne leur faut pas plus de deux minutes pour se comprendre l'un l'autre. J'ai souvent remarqué que lorsqu'on revoit les gens au bout d'une très longue période, on a le sentiment qu'on les a quittés la veille : c'est déconcertant et presque choquant aussi. »

F. G. : « Pouvez-vous me parler de la musique ? »

J. M. : « Comme il s'agit d'un film sur la musique, je n'ai pas voulu utiliser beaucoup de musiques ! Pour moi, la musicalité se situe ailleurs : dans la construction de chaque plan, dans le mouvement des personnages, dans leur diction. De même, lorsque Talila chante, c'est du son direct : ce qui m'intéressait, c'était le risque que cela comportait. Ou encore, lorsque Clovis écoute un vieux disque dans la librairie, on entend la respiration de Lou Castel et c'est ce qui donne toute sa dimension à son émotion. On a évidemment conservé cet enregistrement brut car c'est vraiment là que se situe la musique. »

F. G. : « Comment avez-vous travaillé la lumière ? »

J. M. : « Le principe pictural du film était le suivant : le fond du plan devait être relativement neutre, tandis que les personnages étaient censés s'en détacher grâce à des couleurs vives. C'est ainsi qu'Elizabeth porte des teintes rouges ou bordeaux. De leur côté, Clovis et William suivent des parcours opposés : le premier porte d'abord des vêtements de couleur vive pour finir en costume cravate gris, à l'inverse du second. Ce sont des éléments quasi imperceptibles mais qui, comme chez Douglas Sirk, ont leur importance. »

F. G. : « Comment s'est déroulé le montage ? »

J. M. : « L'essentiel, avec un film tourné quasi entièrement en plans fixes, c'est le rythme : comment donner du tempo et de la fluidité à une succession de plans-séquences. On a commencé par bâtir un premier montage d'environ deux heures, tout en sachant que le film - qui est une comédie, ne l'oublions pas - ne devait pas excéder une heure trente : on y est arrivé de manière naturelle, sans jamais souffrir de couper telle ou telle scène. D'autre part, nous avons déplacé un certain nombre de séquences pour que les fils de la narration ne s'emmêlent pas et ne gênent pas la compréhension. Du coup, le personnage d'Elizabeth a pris davantage d'importance, ce qui n'était pas apparent au premier montage. »

F. G. : « Lou Castel et Luis Rego forment un tandem étonnant. »

J. M. : « Au départ, nous n'avions pas écrit les rôles pour eux, mais nous nous sommes rendus compte qu'ils pouvaient apporter une dimension comique supplémentaire au film. Par exemple, lorsque nous avons tourné la scène du thé sur la terrasse, et que le vase ne cesse de tomber à cause du vent, j'ai réalisé que Luis et Lou me faisaient penser à Laurel et Hardy ! On avait pourtant répété pendant un mois, mais il a fallu que j'arrive sur le plateau pour prendre conscience que j'avais affaire à un vrai couple comique, autrement dit à deux caractères opposés qui s'attirent. Entre eux, se situe un personnage sérieux, qui les observe avec effarement : Elizabeth est en effet le pendant de Margaret Drumont chez les Marx Brothers ! »


F. G. : « Françoise Michaud, quant à elle, est votre comédienne fétiche. »

J. M. : « Françoise Michaud est mon égérie. Elle incarne, pour moi, une sorte de glamour hollywoodien, revu par la Nouvelle Vague. Je la compare aussi à Katharine Hepburn dans les comédies d'avant-guerre de Howard Hawks ou de George Cukor et à Ingrid Bergman jouant dans Voyage en Italie de Roberto Rossellini… Je lui ai fait la promesse qu'elle apparaîtrait dans tous mes films. Même si elle n'est pas présente à l'image, elle est tout de même inscrite au générique, comme dans la lettre filmée adressée à Alain Cavalier que j'ai réalisée pour Court-Circuit ( Arte ). C'est la comédienne qui a incarné tous les personnages de femmes de mes films : la mère, l'amante, la soeur etc. »

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Fiche technique
Réalisation : Joseph Morder
Scénario : Harold Manning
Idée originale et adaptation : Joseph Morder
Image : Catherine Pujol
Montage : Isabelle Rathery
Son : Jean-Daniel Bécache, Emmanuel Soland et Frédéric Bielle
Musique : Jean-Christophe Desnoux
Production : Céline Maugis, Christophe Delsaux La Vie est Belle Films associés
Distributeur : Shellac
Développement : European Script Fund Mannheim Coproduction Meetings
Avec la participation : Centre National de la Cinématographie, Pôle Image Haute-Normandie, Région Limousin, Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Procirep
Film soutenu par : l'Agence du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion l'ACID

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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de



remerciements à Mélanie Vincent

logos, textes & photos © www.shellac-altern.org

Publié dans PRÉSENTATIONS

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