Bunker paradise

Bunker paradise comédie dramatique de Stefan Liberski
avec :
Jean-Paul Rouve, Francois Vincentelli, Audrey Marnay, Bouli Lanners, Jean-Pierre Cassel, Magali Collard, Sacha Bourdo, Yolande Moreau, Jean Nothomb, Charlie Dupont et Anton Tarradelas
durée : 1h47
sortie le 15 mars 2006
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SynopsisRiche trentenaire reclus dans une grosse villa de banlieue, John Deveau ne fait rien d'autre que la fête. Sarcastique et cruel, ce prince du Néant semble fasciner tous ceux qui l'entourent, à commencer par David, son fidèle second, ou Laetitia, sa mystérieuse fiancée.
Mimmo, lui, est un jeune homme fauché qui, pour « réussir », s'accroche tant bien que mal au rêve d'être célèbre. Le jour il court les castings, la nuit il est chauffeur de taxi. Sa rencontre fortuite avec John va bouleverser leur vie à tous deux. Car si le premier a le tort de croire un peu vite qu'il a rejoint le clan des nantis, John, pour une fois, n'a pas mesuré toutes les conséquences du jeu pervers dans lequel il pousse Mimmo.

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Entretien avec Stefan Liberski
- : « Comment est né le projet de Bunker Paradise ? »
Stefan Liberski : « Quand je me mets à écrire une histoire, je ne sais pas tout de suite pourquoi je le fais, ni ce qu'elle va devenir. En général, les histoires me tombent dessus. Quelque chose me fait signe dans le réel (Hé toi! Viens par ici !) et je me mets à suivre le fil. Parfois le fil n'est pas très long, et l'histoire tourne court. D'autres fois, il est plus long. Comme vous le voyez, on peut même parfois se retrouver quelques années plus tard avec un long métrage à défendre. Ça arrive. Ça m'est arrivé.
J'avais en tête les grandes lignes du scénario dès 2000. Je suis allé voir Artémis, ils se sont tout de suite enthousiasmé pour le projet. Nous l'avons donc développé ensemble. La naissance du projet fut somme toute assez simple.
En général, pour un film, c'est après que ça se complique. Quand on cherche à le concrétiser. Là, il faut s'accrocher! Et cela a pris quatre ans. »
- : « Vous avez choisi de décrire un groupe de gens oisifs et cyniques. Pourquoi ? »
S. L. : « Peut-être pour nous changer un peu des gens pauvres et angéliques. (Je rigole). De toute manière, ce qui m'intéresse, c'est de parler du monde tel qu'il est. Je suis un réaliste de fond. Le fantastique, la science-fiction, le gore, les films de genre, etc. ne m'attirent pas beaucoup. Même si je peux les apprécier, je n'ai pas le désir d'en faire. Je considère d'ailleurs que tout ce que j'ai fait, depuis mes romans jusqu'au plus court de mes sketches, est réaliste. C'est-à-dire que, d'une manière ou d'une autre, c'est toujours la réalité qui est visée. Ce qui m'intéresse, c'est le monde concret tel qu'il se manifeste sous nos yeux, là, maintenant, dans sa singularité. C'est de comprendre ce qui se passe. (Y compris, par exemple, cette propension - comique - qu'ont nos contemporains à ne plus du tout vouloir la voir, cette réalité.) Moi je dis comme la mère de Serge Daney : On est là pour y voir clair !
Eclairer, traiter l'un ou l'autre aspect du monde actuel peu abordé, peu (ou pas encore) exprimé à mon sens, voilà ce qui me retient. Et bien sûr mettre en scène des personnages emblématiques du temps présent.
Alors en effet, oui, le noyau du film est un personnage autour duquel gravite une bande de jeunes nantis qui font la fête. Mais n'est-ce pas là un idéal des plus répandus aujourd'hui? Faire la fête et être riche ? C'est bien cet éden-là, ce paradis-là que la Publicité et le Spectacle nous vantent à longueur de journées, non? Ou je me trompe ? Le Système tient bien sur cette carotte-là, non ? Ou suis-je à côté de la plaque ? Ajouter à cela l'idéal absolu d'être célèbre, et on a, je crois, un bon portrait du temps - celui que le temps se donne en tout cas à lui-même comme idéal.
Pourquoi décrire ce milieu ? À la vérité, je trouve plutôt étrange qu'on y aille voir si peu souvent. Je parle des auteurs des films dits d'auteur. Etrange qu'ils veuillent se pencher si souvent vers les laissés-pourcompte, parfois avec beaucoup d'émotion, mais si rarement regarder et décrire le côté du manche, celui de ceux qui comptent, (ou de ceux qui ne comptent plus leurs sous, comment dire ?) On laisse plutôt ça aux films américains courants ou aux séries, c'est-à-dire à une modulation de la Publicité. Qui évite soigneusement d'écorner l'idéal, bien entendu.
Pour ma part, je trouvais intéressant de regarder pour une fois vers ceux qui incarnent (à tort ou à raison) l'idéal de la terre entière. Ceux qui font rêver la planète, comme dirait John Deveau.
Voilà. Quoi qu'il en soit, ce milieu n'est pas le sujet de Bunker Paradise. »
Il en est un élément. Important, sans doute, mais l'histoire, les personnages ne sont sûrement pas là comme de simples illustrations d'un milieu. »

- : « Comment définiriez-vous vos personnages ? »
S. L. : « Eh bien, sans entrer dans les détails de l'histoire, je dirais que chacun d'eux est emblématique d'une profonde détresse liée à l'immense indifférence contemporaine - ou l'égoïsme délirant, ce qui revient au même. Il me semble que c'est là le sujet du film : l'indifférence, l'insensibilité. Que cette insensibilité coïncide avec une sensiblerie de surface follement exacerbée n'est pas la moindre des cocasseries de l'époque. (A-t-on jamais connu période à la fois aussi crue et aussi gnangnan que la nôtre ? Je ne crois pas.) Cela fait partie du sentiment d'irréalité (et finalement de solitude) dans laquelle tous les personnages de Bunker Paradise se débattent. Désir absurde de notoriété, refus de vieillir ou de transmettre autre chose que du fric, impasses multiples de la perversion, rêveries de lointains différents, authentiques (qui n'existent plus), etc. voilà les thèmes qu'incarnent les personnages. »
- : « Peut-on dire que John est un personnage caricatural de notre époque ? »
S. L. : « John Deveau, joué par Jean-Paul Rouve, est le centre du film. Un centre vide, qui fascine comme le vide attire. Peu importe, lui, qu'il soit oisif et riche. Il n'est jamais né. Il ne ressent rien pour personne . Il invente des jeux cruels, pour vérifier qu'il n'aura jamais accès à aucun ressentir. Paradoxalement, c'est ce qui lui donne la liberté paradoxale de tout dire. Ce prince du Néant incarne donc l'idéal moderne - avoir beaucoup d'argent, beaucoup de pouvoir, faire la fête sans fin-, mais en négatif, si l'on peut dire. Car il a la conscience aigüe d'en incarner aussi l'impasse. C'est cette lucidité désespérée qui lui donne sa dimension tragique et romantique. En réalité, le film tourne autour d'un thème, celui du père. De la disparition du père. Bien sûr, John a un père. Il n'a même que ça, un père écrasant et pervers, ce qui est pire encore qu'un père absent. Henri Deveau est vieux, mais il ne renonce à rien. (C'est un père vert, si vous voulez !...) Il ne transmet rien, il ne fonde rien. Son égoïsme fou l'en empêche. Je crois que , dans le film, c'est lui le personnage caricatural de l'époque. Il ne peut aimer son fils que par un détour tordu. Et la perversion du père a rendu le fils pervers. Les pères ont mangé les raisins trop verts, et ce sont les fils qui en ont eu les dents agacées. (C'est dans la Bible.) »
- : « Le contraste entre les musiques est un élément important du film. Comment les avez-vous choisies ? »
S. L. : « Je voulais que la pulsation techno soit comme le biotope de la bande Deveau. Qu'elle batte sans cesse, comme le coeur artificiel de la villa sombre dans laquelle ils se retrouvent chaque soir (le Bunker). Je voulais une techno qui soit a-mélodique, totalement machinique, effrayante et fascinante à la fois. Casimir Liberski (mon fils), qui signe aussi la musique originale du film, a fini par découvrir un album extraordinaire de Joey Beltram. Exactement ce qu'il me fallait. (Et puis d'autres DJ encore, comme Luke Slater, Steve Stoll, etc).
Ce qui est curieux, c'est que je n'avais pas de goût particulier pour la techno, mais je dois bien avouer qu'une fois qu'on s'intéresse à quelque chose, on finit toujours par s'aperçevoir qu'il y a des gens qui font n'importe quoi, et puis d'autres qui ont un talent fou. Cela se vérifie dans quelque domaine que ce soit. La musique narrative, elle, devait s'opposer fortement à la partie techno. Elle est jouée au piano solo. Je voulais qu'elle soit simple, qu'elle distille de l'émotion pure. Toute la dernière partie du film est accompagnée par cette musique au piano, comme elle accompagnerait un chant, en suivant ses courbes et en augmentant les intensités. Elle est très belle. »

- : « Comment avez-vous choisi les acteurs ? »
S. L. : « Pour chacun d'entre eux, ce fut différent. Certains rôles furent tout de suite pourvus, alors que pour d'autres ce fut beaucoup plus long. Tout le temps de l'élaboration, à vrai dire. Jean-Pierre Cassel, par exemple, a sauté dans le rôle d'Henri Deveau tout à la fin, et c'est le meilleur choix qu'on ait pu faire.
Le casting de Bunker Paradise est selon moi très réussi. Les rencontres avec les acteurs sont des moments extrêmement forts. Enfin moi, je le vis comme ça, sur un mode très affectif. J'aurais beaucoup de mal à faire un film avec un acteur pour qui je n'éprouve rien. Un casting, c'est déterminant et passionnant à la fois. Il y a un équilibre à trouver, une harmonie un peu mystérieuse entre les différents tempéraments et les différents physiques des gens qu'on va réunir ensemble, sur une toile. Là aussi, il faut parfois tenir bon sur des choix qui, à d'autres que vous, peuvent paraître curieux. En général, je sens très vite si c'est ça ou pas. Une fois que Rouve eut accepté le rôle de John, je n'aurais pu imaginer quelqu'un d'autre dans le rôle. Un moment, il a été question qu'il ne puisse plus faire le film, pour des raisons de dates. Je lui ai dit que s'il ne faisait pas le film, je ne le faisais pas non plus. Ça ressemblait à un gros chantage, mais je jure que j'étais sincère. Quand, sur les conseils de Richard Rousseau (l'excellent directeur de casting français), j'ai rencontré Audrey Marnay, que je ne connaissais pas du tout, j'ai senti à l'instant qu'elle serait le rôle. On a fait des essais, car elle est plutôt top model et n'avait jamais encore joué, mais je savais que ce serait elle. Quant à François Vincentelli, ou Bouli Lanners, ils ont tout de suite été Mimmo et David, et cela depuis les premières ébauches du scénario, sans contestation possible. Yolande Moreau, j'y ai pensé très vite aussi. Sacha Bourdo, c'est en le rencontrant par hasard dans la rue, à Paris. Tout à coup, quelque chose s'est allumé : Mais oui ! C'est lui ! C'est Jay. »
- : « Comment avez-vous travaillé avec vos comédiens ? »
S. L. : « De manière assez classique. Avec des conversations préliminaires et des lectures préparatoires. Mais peu, finalement. Certains ont travaillé plus que d'autres en amont. Rouve dit qu'une fois qu'il est sur le plateau, son travail est terminé. C'est avant qu'il construit le personnage. En tout cas, tous les comédiens avaient bien accroché à la lecture du scénario, et les choses étaient claires. Ce qui fait, je crois, qu'ils ont pu donner beaucoup au tournage. Tous sans exception ont été extraordinaires. Sur le plateau, je pouvais me permettre de chercher des nuances, des approfondissements. Un mot sur le parcours du jeune garçon au Japon...
En contrepoint du récit principal se déroule en effet le voyage d'un jeune adolescent (occidental), seul au Japon. Même si ce récit second vient parfois résonner comme un écho au premier, ce voyage japonais n'a pas de lien direct avec le reste du film. On en voit surtout les images, car pour la plupart elles sont sans dialogue. Cette partie du film est ouverte, comme on disait autrefois, dans les années 70 - c'est-à-dire il y a plusieurs siècles. Est-ce une rêverie de Mimmo, qui a déposé l'adolescent à l'aéroport, et qui l'imagine là-bas, si jeune et si loin? Racontent-elle la quête mystique d'autre chose ? Quête de pureté ? De paternité ? De renaissance ? Est-ce un hasard si Laetitia elle aussi rêve d'un Japon idéal, celui d'un lieu lointain où elle pourrait vivre ? Est-ce une échappée du film lui-même, qui cherche à respirer dans le monde trop oppressant du Bunker ? Je voudrais qu'à cette partie japonaise du film, le spectateur donne l'interprétation qu'il voudra. Ou plutôt qu'il n'en donne pas de précise, laissant vivre l'énigme. Et la poésie. A l'époque de Brice de Nice et des Daltons, ce sera difficile, je sais. Enfin, on verra. Vous serez peut-être étonnés... »

- : « Pourquoi ce titre Bunker Paradise ? »
S. L. : « J'aime la contradiction qu'il renferme. Il évoque l'idéal dont je parlais au début. Notre paradis, celui de l'enfermement nanti, indifférent, consumériste , doit manifestement se défendre, non ? On le voit tous les jours dans le journal. Même si ce n'est jamais dit, le Bunker désigne la maison où se déroulent «la fête terminale» (comme on dirait la lutte finale) de la bande Deveau. C'est là aussi que Mimmo rencontre Laetitia. Aussi bien le titre a des résonnances bibliques. La tentation (Mimmo), le fruit défendu (Laetitia), le diable (John), le serpent (David)... On peut s'amuser avec ça. Attention, encore une fois, je ne veux pas dire que tous les nantis sont insensibes, bla bla bla. Simplement, il n'y a pas de paradis possible dansun bunker. »
- : « Est-ce que le film que l'on peut voir est celui que vous aviez en tête ? »
S. L. : « Ah oui ! En plus beau. »
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Fiche technique
Réalisateur : Stefan Liberski
Compositeur : Casimir Liberski
Directeur de la photographie : Jean-Paul de Zaetijd
Ingénieur du son : Mathieu Cox
Costumière : Agnès Dubois
Directeur artistique : Hubert Pouille
Monteur : Ewin Ryckaert
Distribution : EuropaCorp
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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de
remerciements à Philippe Martin
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