Schuss !

Schuss ! documentaire de Nicolas Rey
durée : 0h16

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Synopsis
Un film qu’on pourrait prendre pour un documentaire un peu étrange sur les sports d’hiver est soudain déclaré par son auteur avoir pour sujet l’aluminium. Les chapitres évoquent alors l’histoire économique du XXème siècle, la mort du dieu Progrès dans les vallées des Alpes et en filigrane la question de l’Etat et de l’Industrie. A la neige comme à la neige.

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Note d'intention
Nicolas Rey : « Je me suis rendu dans les stations de sports d’hiver et je me suis demandé ce qui m’attirait là.
Etait-ce seulement l’espace immaculé de la piste de ski, de la toile blanche sur laquelle évoluent les motifs colorées des skieurs ? Je ne voulais me restreindre ni à une entreprise formelle ni à un panégyrique sur les beautés des paysages de montagnes dévastés par les équipements et l’urbanisme des stations de sports d’hiver. C’était trop simple.
Et puis, à force d’emprunter la route pour accéder aux stations qui remonte cette vallée de la Romanche que je connais depuis longtemps, je me suis arrêté à Livet et Gavet, cette petite ville industrielle coincée dans une chicane de la vallée — stoppé par cette maison sur pilotis devant laquelle tout le monde circule, arrêté net par le paysage qui ponctue les chapitres du film. J’avais une idée de l’activité industrielle, l’électrométallurgie et en particulier l’électrolyse de l’aluminium, qui faisait l’importance économique de cette endroit jusqu’aux années 1960, mais je n’imaginais pas les liens très directs qu’il pouvait y avoir avec l’industrie qui l’a remplacée : celle des loisirs alpins. Deux choses qu’on appela l’ or blanc.
En régie municipale, sociétés commerciales ou bien dites d’économie mixte suivant les endroits, les stations sont autant de merveilleux exemples de la complexité de l’interface entre ce que nous appelons le public et le privé, deux concepts qui ont structuré l’histoire économique des sociétés occidentales au XXème siècle. En définitive, bien que les matières premières mises en jeu soient de natures très différentes, les deux activités posent la question fondamentale de l’Etat et de l’Industrie. Mais il ne s’agissait pas non plus de faire un film « à thèse ». Plutôt de bousculer des habitudes de pensée, à commencer par les miennes. C’est drôle par exemple comme on considère toujours l’industrie comme lourde et polluante et les services comme transparents et propres, comme si ces catégories servaient bien à masquer ce qu’il y a de permanence dans les évolutions de nos sociétés. Qu’on voit toute industrie comme bénéfique quand elle se situe chez nous et néfaste quand elle est ailleurs. Ou bien que le temps serait divisé en deux : le temps de travail, où nous serions productifs, et le temps de loisirs, improductif par nature, alors que nous participons autant au fonctionnement du système en dépensant de l’argent qu’en étant rémunéré. Autant de réflexions qui peuvent surgir à la vision du film. C’est pourquoi, il fallait, pour que le film ait un sens, engager la responsabilité du spectateur. Eviter la démonstration, qui est un jeu fermé. C’est ce qui donne au film ce balancement entre quelque chose de très ouvert et de parfaitement déterminé.
Le film répond au précédent, Les soviets plus l’électricité, comme ici répond à ailleurs. Un espace inconnu se traverse en y saisissant la surface des choses et en tentant de mettre bout à bout ce que l’on peut y voir et y entendre. En terrain connu, le film procède par coupes successives, reprenant des éléments connexes aux précédents, approfondissant et élargissant dans un même mouvement. Le décalage temporel entre l’image et le son propre aux Soviets plus l’électricité devient décalage de sens, tentative de conjuguer des espaces insolites par l’adjonction de sons qui frottent avec l’image, en jouant des registres entre l’accompagnement et la perturbation. Dans les deux films, qui forment un diptyque par un jeu de correspondances (la carte postale, l’électricité, les textes écrits, le chapitrage etc.), le cinématographique est utilisé jusque dans sa dimension technique, la triade optique-mécanique-chimique, techniques issues du XIXème siècle et fondements de l’industrie développée au siècle suivant, envisagée ici à la manière des laboratoires cinématographiques d’artistes, c ‘est-à-dire dans un face à face avec la matière même du film. En l’occurrence, développements à la main en spire et tirages à L’Abominable et fabrication de dispositifs spéciaux comme le Kinemacolor utilisé pour les portraits des skieurs, reprise d’un système inventé en 1908 permettant de filmer en couleurs sur de la pellicule noir et blanc par filtrages successifs des photogrammes par les couleurs primaires.

Ce sont des tentatives de faire des films qui aient une certaine profondeur historique mais soient en même temps absolument contemporains. Persuadé des bouleversements profonds qui attendent nos sociétés, je crois que nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion collective sur les concepts fondamentaux qui les organisent, ce qui ne peut se faire qu’à la lumière des événements du passé. Pour modeste et parcellaire que ce soit, j’espère que mes films peuvent être considérés comme des contributions dans ce sens : Les soviets plus l’électricité revisitait l’Union Soviétique à partir ce qu’elle avait pu signifier à l’Ouest et Schuss ! balaie devant notre propre porte, avec les moyens du cinéma. Aujourd’hui, il me semble que la simple dénonciation documentaire des crimes du capitalisme ou de la mondialisation ne porte plus, et je voudrais être ailleurs, au-delà de la fausse évidence des images. C’est pourquoi j’ai essayé d’être à la fois précis et de portée extrêmement générale, car je crois en la force de l’imaginaire.
A la fin du XVIIIème siècle, au sortir de la Révolution Française, Hölderlin écrivait : « Ceci n’est plus le temps des Rois ». Si les rois n’ont pas vraiment disparu, le temps des injonctions idéologiques semble lui bien révolu. Comment faire un cinéma à hauteur d’homme, un cinéma de patience et d’écoute qui donne à voir sans réduire la complexité du monde ? »
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Fiche technique
Réalisé par : Nicolas Rey
Le tournage a eu lieu entre 2003 et 2005, en super-8 pour l’essentiel et en 16 mm pour la série de plans fixes à différentes focales de Livet-et-Gavet et les portraits en Kinemacolor qui ouvrent chaque chapitre.
Le tirage optique et les éléments de la copie de travail ont été effectués en autoproduction à L’Abominable, à Asnières.
Les copies définitives ont été réalisées au Niagara Custom Lab à Toronto en 2005.
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