• Changement d’adresse

Publié le par 67-ciné.gi-2006













Changement d’adresse comédie de Emmanuel Mouret







avec :
Fanny Valette, Frédérique Bel, Dany Brillant, Emmanuel Mouret et Ariane Ascaride

durée : 1h25
sortie le 21 juin 2006

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Synopsis
Fraîchement installé à Paris, David, un musicien, timide et maladroit, tombe fou amoureux de sa jeune élève, Julia. Il tente tout pour la séduire.
Sa colocataire, Anne, l'encourage, le conseille, et le console… passionnément !


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Entretien avec Emmannuel Mouret
- : « Un jeune homme et une jeune femme qui vivent ensemble et s’entendent à merveille, cherchent l’amour obstinément chacun de leur côté avant de le trouver… Comment vous est venu le désir de cette situation ? »

Emmanuel Mouret : « Deux choses me plaisent particulièrement dans les histoires d’amour : l’obstination amoureuse et la malléabilité du coeur. Le coeur est un organe qui nous rend tout aussi impétueux que vulnérable, tout aussi dur que doux, tout aussi définitif que changeant ! Sans oublier qu’il est un organe tout aussi vrai qu’imaginaire… C’était donc une situation idéale pour mettre tout ce qui me réjouit dans un récit sentimental : des personnages débordant de désir, des coups de foudre, des stratégies de séduction, des changements de sentiments, des échecs, des injustices, des quiproquos, des rebondissements, et bien sûr des baisers ! »

- : « On retrouve dans votre film un ton à la fois très simple et très étonnant ! »

E. M. : « Au cinéma, comme en peinture ou ailleurs, j’aime être envoûté par le charme et l’étrangeté des choses les plus simples. Je cherche ce qui me paraît singulier, drôle ou étonnant dans les situations les plus communes et nos attitudes courantes. Pour obtenir cela, il faut une certaine distance. Mais en même temps, j’aime que l’on s’attache au personnage ! Alors je m’approche et m’éloigne sans cesse de l’action et des personnages. Au fond, ce sont ces allers-retours entre attachement et recul qui exprime le plus profondément mon rapport au monde. Si la forme du film paraît si simple, c’est que je suis très attentif également à ce que la complexité et le labeur ne se voient pas à l’écran. J’aime qu’un film respire l’aisance, au risque du malentendu et des reproches de ceux qui ne verront pas les traces du travail. Peut-être encore, que le caractère simple et étonnant du film vient de ma règle toute simple : ne filmer que ce que j'aime ou qui me fascine, mettre tout le reste hors champs. »

- : « Chez vous, l’inventivité passe notamment par le mélange de registres très différents : le rire, l’émotion, un ton plus cruel… »

E. M. : « J’aime beaucoup qu’une musique soit sautillante ou légère et que, d’un coup, elle soit traversée par un courant plus sombre ou mélancolique, pour ensuite repartir dans des soubresauts plus entraînants. C’est mon goût ! Pour moi, le cinéma et la musique sont avant tout une affaire de variations et de contrastes. La légèreté enrichit une émotion plus profonde. Et vice-versa : la profondeur enrichit la légèreté. »

- : « Vous affichez également une prédilection pour le burlesque… »

E. M. : « Enfant, mon amour du cinéma a commencé avec le burlesque et cela ne m’a pas quitté ! Je trouve que la maladresse est extrêmement belle, touchante, cinématographique, plaisante à voir. Elle est aussi pour moi l’expression la plus profonde de l’homme : un être dans un monde qui lui est étranger et auquel il essaye de s’adapter. Dans le burlesque, les personnages se cassent la figure mais ils se relèvent toujours l’air de rien, comme si les compteurs étaient remis chaque fois à zéro. En cela, Anne et David sont des personnages hérités du burlesque. Même dans le plus grand désarroi, ils gardent beaucoup d’espoir et n’accusent jamais la vie ou les autres. Là est la grande élégance des personnages de burlesque, ils n’ont aucune rancoeur ! Ils devraient être usés compte tenu de l’énergie qu’ils dépensent, mais ils rebondissent tant bien que mal. Je crois que dans mes films j’essaye de retrouver quelque chose de cette lutte contre l’usure et l’amertume. C’est peut être ça qui leur donne un aspect intemporel… »

- : « La maladresse peut être à la fois le signe que l’on ne sait pas faire ou que le temps s’entraîne pour laisser advenir des choses nouvelles… En ce sens, elle est liée à l’érotisme. Dans les premières scènes entre David et Julia notamment, elle introduit une tension, ne laisse pas croire que le désir est anodin, facile… »

E. M. : « Tout à fait. Je pense que le désir qui nous porte vers quelque chose est sans cesse dans un mouvement de va-et-vient, d’échange. Et tous les échanges, s’ils ont leur miracle d’adresse, comportent d’abord de la maladresse. Le tâtonnement un peu maladroit dans la rencontre amoureuse, dans la rencontre des corps, est ce qu’il y a pour moi de plus érotique. »

- : « Dans votre film, la parole est un véhicule de sensualité… Notamment au début avec le quiproquo corps - cor dans l’échange entre Anne et David… »

E. M. : « Dans une rencontre amoureuse, le plus souvent c’est la parole qui tâtonne et caresse l’objet de son désir avant les mains. Sauf pour Anne et David où c’est les mains qui trouvent ce que les mots ne disent pas. C’est pour ça que lorsqu’il a fallu trouver de quel instrument jouait David, l’idée du cor est joyeusement venue. J’ai pensé aussitôt aux délicieux jeux de mots que je pouvais introduire dans les dialogues. »

- : « Vous jouez avec les désirs des personnages, mais aussi avec celui du spectateur… »

E. M. : « J’aime les récits qui jouent avec les attentes des spectateurs. Comme dans Harry rencontre Sally, le film joue sur le fait que le spectateur présume et ait envie qu’Anne et David s’unissent. Il faut que le spectateur ait des attentes, sinon c’est impossible de le surprendre. »

- : « Anne est un personnage très volubile, alors qu’il faut attendre un moment avant d’entendre le son de la voix de Julia… »

E. M. : « J’aime les films qui parlent beaucoup, même excessivement, comme chez Guitry et Woody Allen. Je trouve que la parole au cinéma amène énormément de vie et de plaisir. Il n’y a qu’à voir les comédies italiennes ou américaines classiques. J’avais donc envie d’un personnage volubile (j’adore ce mot) qui nous fait partager tout son récit amoureux uniquement par la parole. J’ai essayé de composer le scénario et le casting comme un quatuor où chaque instrument contraste gaiement avec l’autre. J’ai cherché à ce que la ligne mélodique de chaque personnage varie entre le début et la fin. Mes choix sont beaucoup guidés par ces jeux d’accord, d’opposition, de résonance, de sonorité. Ainsi, pour contraster avec Anne, je voulais que Julia ait quelque chose de plus sibyllin, énigmatique, quelque chose qui absorbe le désir de David sans rien renvoyer en retour, quelque chose qui le déroute et l’obsède. »


- : « Elle qui était au départ la plus mystérieuse est aussi celle qui va rentrer dans le rang… »

E. M. : « Oui, il y a un retournement. Tout est ambivalent. Mais ce retournement n’est pas tant un désir d’affirmer une idée d’ordre psychologique que d’affirmer la permanente mutabilité des choses. Changement d’avis, de sentiments, et d’adresse. »

- : « Vous aviez d’emblée envie de jouer le rôle de David ? »

E. M. : « J’ai joué dans plusieurs de mes courts métrage et dans mon premier long métrage. J’ai l’impression que cela donne une identité plus particulière à un film quand le réalisateur joue dedans, il livre une part plus importante de son intimité. Truffaut disait que lorsqu’il jouait dans un film, il avait l’impression que le film était écrit à la main plutôt qu’à la machine ! »

- : « Pour rebondir sur Truffaut, votre film fait beaucoup penser à la période Doinel de Truffaut, notamment à Baisers volés »

E. M. : « D’autres spectateurs m’ont fait la même réflexion ! Je ne sais pas trop quoi vous répondre là-dessus, si ce n’est que je suis forcément très touché et flatté par cette comparaison à quelqu'un que j’admire. Peut-être cela vient-il de la manière légère d’aborder des sentiments profonds… »

- : « Comment s’est constitué le reste du casting ? »

E. M. : « Le casting est souvent la première couleur d'un film. C'est un élément fondamental de mon plaisir au cinéma. Je voulais un casting qui puisse promettre un divertissement un peu inhabituel, qui puisse intriguer avec des comédiens d’univers très différents. Et je suis très heureux de faire découvrir au public Frédérique Bel, connue pour son excentricité dans La minute blonde, dans un rôle plein de sentiments sincères et d’une douce fantaisie, Dany Brillant, dans un personnage très surprenant. Très heureux de montrer Fanny Valette dans une comédie, et Ariane Ascaride en une bourgeoise parisienne. »

- : « Comment avez vous eu l’idée de faire appel à Frédérique Bel ? »

E. M. : « Frédérique Bel, je ne la connaissais pas. Je l’avais vu quelquefois dans La minute blonde sur Canal Plus parce qu’on m’avait conseillé de la regarder mais je ne la voyais vraiment pas du tout dans le personnage d’Anne ! Et puis quelqu’un m’a montré un essai qu’elle avait passé pour un film. Et là, j’ai vraiment vu quelqu’un d’autre, quelqu’un qui, tout en ayant beaucoup de fantaisie, avait une vraie profondeur, une vraie sincérité. Du coup, je lui ai fait passer des essais et d’emblée, j’ai vu qu’il y avait quelque chose de formidable et rare chez elle. Elle joue une certaine forme de candeur avec beaucoup d’intelligence. Elle n’a pas peur des sentiments, du ridicule. Elle en devient très profonde pour ça. »

- : « Et Dany Brillant ? »

E. M. : « Je trouvais que son côté Dean Martin collait bien au personnage, qui est à la fois un séducteur et un amoureux, sympathique d’un côté et trouble de l’autre. A la fois on le craint et on le trouve drôle. Je n’ai jamais vu des comédiens travailler autant que lui et Frédérique Bel. Ils sont arrivés sur le tournage avec une humilité et une générosité très stimulantes pour l’équipe. »

- : « Et Fanny Valette ? »

E. M. : « C’est une rencontre qui s’est faite un peu par hasard, avant même d’avoir vu La petite Jérusalem. Je voulais jouer sur des physiques différents, sur des âges différents. Il fallait un personnage secret et j’ai été séduit par son étrangeté, à la fois fragile et pas vraiment, sombre et pas vraiment. »

- : « Et quant à la participation d’Ariane Ascaride ? »

E. M. : « Je voulais quelqu’un de très vivant, une mère qui soit l’antithèse de sa fille, qui l’encourage presque à se déniaiser. En plus je suis de Marseille, des quartiers sud de Marseille. Cela m’amusait de faire appel à l’égérie du cinéma des quartiers nord ! Elle a une énergie très enthousiasmante. »

- : « Changement d’adresse est votre troisième long métrage. J’ai l’impression que le passage par Vénus et Fleur vous a apporté la souplesse et la liberté qui manquait peut-être à Laissons Lucie faire… »

E. M. : « Dans Laissons Lucie faire, la part du burlesque était plus importante que celle du sentimental. Ce que Vénus et Fleur m’a apporté, c’est de prendre au sérieux les sentiments, tout en essayant de conserver ce ton de légèreté et de comédie. J’ai eu longtemps peur d’être ridicule en étant trop sérieux. Plus maintenant, quand on aime on est sérieux, quand les enfants jouent ils sont très sérieux aussi. Affronter cette peur du ridicule, c’est peut-être ce qu’il y a de plus stimulant pour moi dans le cinéma. Là où il y a peur du ridicule, il y a toujours menace d’autocensure et c’est ce qu’il y a de plus dangereux pour un artiste car cela l’éloigne de ses sensations intimes. »


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Fiche technique
Auteur, réalisateur : Emmanuel Mouret
Directeur de la photo
: Laurent Desmet
Ingénieur du son
: Maxime Gavaudan
Assistant réalisateur
: Pierrick Vautier
Régisseuse générale
: Gaëtane Josse
Monteur image
: Martial Salomon
Monteur son - mixage
: Ludovic Escalier
Chef décorateur
: David Faivre
Chef maquilleuse
: Heidi Baumberger
Musique originale
: Franck Sforza
Production
: Moby Dick Films
Producteur
: Frédéric Niedermayer
En coproduction avec
: Les Films Pelléas (David Thion et Philippe Martin), les Films Velvet (Frédéric Jouve) et Shellac (Tom Dercourt et Thomas Ordonneau)
En association avec
: la Sofica Soficinema 2

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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de



remerciements à Mélanie Vincent

logos, textes & photos © www.shellac-altern.org

Publié dans PRÉSENTATIONS

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