Lucy

Lucy drame de Henner Winckler

avec :
Kim Schnitzer, Gordon Schmidt, Feo Aladag, Polly Hauschild, Ninjo Borth et Ganeshi Becks
durée : 1h32
sortie le 19 juillet 2006
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Synopsis
Maggy est une jeune mère célibataire de 18 ans. Elle vit encore avec sa mère et a rompu avec le père de sa fille, Lucy. Maggy rencontre un soir Gordon dans une discothèque et tombe amoureuse de lui. Elle est impressionnée par le fait qu’il gagne déjà sa vie et qu’il a un appartement.
Après une dispute avec sa mère, elle décide brutalement d’emmenager avec lui. Elle ne s’était pas beaucoup occupée de son enfant jusqu’alors, mais malgré tout, elle emmène Lucy avec elle et s’occupe de son éducation avec Gordon. Au début, celui-ci tire une certaine fierté de ce rôle de père auquel il n’était pas accoutumé, mais la vie commune leur demande beaucoup plus d’effort qu’ils n’escomptaient. Maggy et Gordon sont perdus et ne savent pas comment articuler leur vie. Ils en ont seulement une vague idée . Gordon se rétracte peu à peu et Maggy est de plus en plus obligée de se débrouiller toute seule.

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Entretien avec le réalisateur et l'actrice Kim Schnitzer
Claudius Lünstedt : « Lucy est votre deuxième long-métrage. Après Voyage scolaire, vous dépeignez de nouveau des jeunes personnages. Pourquoi vous intéressezvous tant à la jeunesse ? »
Henner Winckler : « Au tout début, j’avais la même motivation que pour Voyage scolaire. L’adolescence est une période très intéressante, où beaucoup de choses se décident. Mais il y avait aussi une autre raison; je voulais m’intéresser à un personnage qui vit tout d’abord comme un adolescent puis partage la vie d’un homme avant de se retrouver seule. C’est une trajectoire qui prend des années à mon âge, mais qui peut-être racontée sur une durée d’un mois pour une jeune femme de 18 ans.
Il y a aussi le fait que le caractère dramatique est accentué quand le personnage principal est jeune et a un enfant. Cela provoque l’intérêt de beaucoup plus de gens. »
C. L. : « La figure du père brille par son absence dans Lucy . Le spectateur n’apprend rien à propos du père de Maggy et un silence de mort est maintenu à propos du père de Lucy dont Maggy dit il n’est plus. Selon vous, l’absence du père est un phénomène de base de notre époque ? »
H. W. : « Je pense que c’est simplement une réalité. Les pères peuvent partir plus vite que les mères. Il est important qu’il y ait un effet miroir entre la mère et la fille parce que les histoires se répètent. Le spectateur peut imaginer que la mère de Maggy a eu la même vie que sa fille dans le passé. Et peut-être que Lucy se comportera de la même façon un jour. »
C. L. : « Dans Lucy, non seulement, vous ne montrez pas de figure paternelle, mais vous ne faites pas de références au passé des personnages, vous vous intéressez juste au résultat. »
H. W. : « C’est un processus mûrement réfléchi de raconter cette histoire de cette manière. Si on a beaucoup d’éléments du passé, on raconte une histoire avec plus de de psychologie et d’explications. Ma méthode est d’extraire un segment et de laisser le public imaginer l’avant et l’après. Je pense que les histoires sont toujours plus intéressantes quand le spectateur a l’opportunité d’interpréter et de penser par lui-même. Quand on donne trop d’explications, on court aussi le risque de l’extrême simplification ou de sombrer dans les clichés. »
C. L. : « Lucy est le nom de la fille de Maggy. Si l’on s’en tient au titre du film, on pourrait s’attendre à ce qu’elle soit le personnage principal du film. Un lien émotionnel entre le spectateur et l’enfant serait facile à provoquer. Aussi, pourquoi mettez-vous en scène l’histoire en montrant simplement que Lucy est seulement un élément pour raconter la situation difficile de Maggy ? »
H. W. : « Je pense que Lucy a sa propre vie. Il y a des scènes où l’enfant joue réellement. Mais je tenais à ce qu’il soit clair que l’enfant n’est pas le personnage principal. De plus, elle a seulement 8 mois et peut à peine développer sa vie par elle-même. Elle est promenée dans une poussette, tenue dans les bras, mange, dort, pleure. Rien de plus. Si j’avais montré cela, j’aurais raconté une autre histoire et évoqué des émotions très différentes. »
C. L. : « Pourtant, vous avez appelé le film Lucy. »
H. W. : « Oui, parce que Lucy tient l’histoire. L’enfant est le catalyseur, qui fait changer la situation et le regard de chacun des personnages. »
C. L. : « Au début du film, Maggy et Mike se disent au revoir . Mike a acquis un chien qui, c’est ce qu’il dit, est fidèle lui au moins . Maggy lui répond que quelqu’un qui n’a pas la moindre idée comme Mike ne devrait pas avoir un chien. Kim, comment avez-vous abordé le rôle de Maggy quand vous l’avez lu pour la première fois ? Est-ce que Maggy n’est pas semblable à Mike ? »
Kim Schnitzer : « J’ai aimé le personnage de Maggy, mais j’ai pensé que Maggy et Mike étaient tous les deux stupides, de par la façon dont ils se parlent l’un à l’autre. Ils se comportent comme des enfants, tout en ayant un enfant ensemble. Ils ne savent pas ce qu’ils font. Quand ils se séparent, Maggy pense simplement que le chien est ridicule. Mike lui-même est le genre de type que l’on ne prend pas au sérieux. »

C. L. : « Le petit ami de Maggy, Gordon, abandonne finalement son rôle de père. Il dit qu’il rêvait d’une vie plus facile. Maggy répond qu’elle aussi rêvait d’une vie plus facile. Est-ce que c’est juste une expression du poids qu’ils ressentent ou est-ce le credo d’une société où tout le monde est obsédé par le plaisir et où l’on refuse de prendre des responsabilités ? »
H. W. : « Je pense que c’est un peu des deux mais dans certaines limites. Maggy et Gordon sont perdus et ne savent pas vraiment comment ils veulent vivre. Ils en ont juste une vague idée. Dans une scène, Maggy et Gordon mangent une glace. C’est la même chose pour l’éducation de l’enfant. La vie réelle n’a rien à voir avec l’image qu’on s’en fait.
Mais le film n’a pas pour vocation d’être une critique de la société actuelle et de sa superficialité. »
C. L. : « A certains moments Maggy aspire à une vie plus conformiste, c’est clair par exemple quand ils achètent ensemble une machine à laver. Est-ce qu’elle recherche une forme de stabilité ? »
H. W. : « C’est plus une sorte d’imitation et cela a à voir avec une spécifique génération qui ne distingue plus clairement si cela vient de leurs parents ou d’un autre modèle qu’on leur a montré. En théorie, ils pourraient imaginer une vie moins conventionnelle; au lieu de cela, Maggy et Gordon essayent sans cesse d’imiter quelque chose qui les rendra heureux. Il y a beaucoup d’exemples: manger une glace, faire un barbecue sur le balcon, acheter une machine à laver.
A ce jeu-là, ils sont heureux un court instant, puis l’histoire se termine. »
C. L. : « Les thèmes du film évoquent des clichés ou segments of clichés. Mais en fait, chaque cliché est évité dans every Lucy. Les personnages ne sont ni blancs ni noirs. Il est possible de les identifier et il n’est jamais possible de leur reprocher clairement leur conduite. Comment ne pas sombrer dans le cliché ? »
H. W. : « J’ai écrit le scénario avec Stefan Kriekhaus. Dans la première version, nous n’avions pas intentionnellement évité les clichés. C’est plus tard que nous les avons pointés et nous avons essayé de les casser. Il y a des pièges dans lesquels on tombe automatiquement. Après, on doit penser à la façon dont cela pourrait être différent. Je pense que beaucoup de clichés ne sont évités qu’au moment où le tournage commence, par exemple grâce au jeu des acteurs ou aux décors.
J’apprécie par exemple beaucoup que l’appartement de Gordon ne soit pas une piaule de camé, mais que tout y semble normal. Il dit lui-même qu’il est sale, mais ce n’est pas vrai. Mais on peut peut imaginer qu’il vit d’expédients, parce qu’il on ne sait pas clairement d’où provient tout le matériel informatique qu’il vend. Des pistes sont tracées dans plusieurs directions, puis abandonnées. Les personnages ne sont pas d’un seul tenant. Mais Lucy raconte une histoire très simple où peu de choses arrivent. C’est pourquoi, nous devions faire spécialement attention à éviter les clichés comme il se passe peu de choses. »
C. L. : « Il y a très peu de dialogues. Seul l’essentiel est dit. Cette façon de communiquer semble familière quand on connaît Voyage scolaire. Qu’est-ce qui vous fascine autant Stefan Kriekhaus et vous dans le fait de montrer de tels personnages ? »
H. W. : « Le film dépeint des personnages qui ne se parlent pas beaucoup.
D’un autre côté, il y a des moments où il y a beaucoup de dialogues, par exemple dans la scène du bar. Je pense que c’est important; que la façon dont parlent les gens exprime quelque chose de fondamental dans leur relation. C’est plus qu’une simple transmission d’informations. »
C. L. : « Kim et Henner, comment vous-êtes vous rencontrés ? »
H. W. : « Pour ce projet, j’ai fait appel à un casting director, Ulrike Müller. Elle travaille souvent avec des jeunes diplômés d’école de cinéma et elle m’a montré un film de Nicolas Wackerbarth (Anfänger) dans lequel jouait Kim. elle y était remarquable. »
K. S. : « Il y a des parallèles entre Maggy et moi. Je pourrais m’identifier à elle parce qu’elle vit seul avec sa mère, comme moi. Elle aime le Hip-hop. J’avais un petit ami qui jouait du hip-hop. donc j’étais familiarisé avec la façon de parler des jeunes; mais Maggy est beaucoup plus naïve que moi, donc il fallait que je m’habitue à sa façon de penser. »
C. L. : « Pourquoi l’action du film se passe -t-elle à Berlin Est ? »
H. W. : « En ce moment, c’est plus facile pour moi de raconter une histoire qui se déroule à l’endroit où je vis. Pendant les 8 dernières années, j’ai vécu ici. la vie de Maggy se passe ici, mais elle pourrait tout aussi bien se passer ailleurs, par exemple à Cologne, Munich ou Fribourg. »
C. L. : « Quelles idées préalables aviez-vous concernant les choix esthétiques que vous vous vouliez donner à Lucy et plus particulièrement par rapport à votre premier film (Voyage scolaire) ? »
H. W. : « Voyage scolaire se déroule en Pologne, sur la mer Baltique. La mer a un effet métaphorique. Il n’y avait pas besoin d’intervenir beaucoup pour créer une esthétique. Nous avions même essayé d’éviter une esthétique trop marquée. A l’opposé, Lucy se passe souvent en intérieur. Nous devions être très précis pour la résolution de l’image et nous avions mis au point par avance un concept plus précis pour les éclairages et la photographie. »
C. L. : « Le générique de Lucy mentionne le nom de Maren Ade – la réalisatrice de (The Forest For The Trees). Vous êtes ami avec Ulrich Köhler (Montag kommen die Fenster) depuis que vous êtes étudiants . Pouvez-vous nous dire comment vous travaillez ensemble ? »
H. W. : « Nous nous racontons nos histoires et cette fois, Maren Ade nous a conseillé pour la dramaturgie en travaillant concrètement sur le scénario. De plus, Ulrich Köhler et moi, travaillons en partie avec les mêmes équipes . Nous avons véritablement un échange très enrichissant. J’aime bien ce qui en ressort. Mais, nos façons de travailler sont différentes. Maren Ade, par exemple, met en scène sur un mode plus dramatique . Au centre de son film,Le personnage principal occupe le centre de son film et tente de survivre à travers toute l’histoire. Ulrich Köhler, à l’opposé , est quelqu’un qui vide le récit de toute tentation dramatique. Ses héros et les miens sont plus flegmatiques. Mais l’entêtement de ses personnages ne se retrouve pas chez les miens. Ses héros sont des contestataires ; les miens sont prisonniers d’eux mêmes. Ce sont des différences importantes. »

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Fiche technique
Réalisation : Henner Winckler
Scénario : Henner Winckler, Stefan Kriekhaus
Directeur de la photographie : Christoph Dehmel-Osterloh
Caméra: Christine A. Maier
Montage : Bettina Böhler
Son : Johannes Grehl
Costumes : Lotte Sawatzki
Une production : Schramm Film - Florian Koerner, Michael Weber - Zdf
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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de
remerciements à Philippe Leroux
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