• Sarajevo mon amour

Publié le par 67-ciné.gi-2006














Sarajevo, mon amour (Grbavica) (vost) drame de Jasmila Zbanic












avec :
Mirjana Karanovic, Luna Mijovic, Leon Lucev, Kenan Catic, Jasna Ornela Berry, Dejan Acimovic, Bogdan Diklic, Emir HadÏihafizbegovic et Ermin Bravo


durée : 1h30
sortie le 20 septembre 2006

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Synopsis
Esma, mère célibataire, veut tout faire pour que sa fille de douze ans puisse participer à un voyage scolaire. Un certificat stipulant que son père est un martyr de la guerre lui permettrait d’obtenir un rabais. Mais Esma s’obstine à éviter ce sujet avec Sara. Elle préfère essayer de trouver un moyen pour payer le prix fort. Elle croit que ne pas dévoiler la vérité sur le père de Sara est la seule façon de les protéger, elle et sa fille.


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Interview de Jasmila Zbanic
- : « Grbavica est un mot imprononçable pour un étranger. Que veut-il dire ? »

Jasmila Zbanic : « Grbavica est un quartier tout près de l’immeuble dans lequel je vis. Pendant la guerre, cette zone était assiégée par l’Armée Serbo-Monténégrine, et transformée en camp de guerre spécial, où la population était torturée. Lorsque vous marchez dans Grbavica aujourd’hui, vous pouvez voir des immeubles typiques du régime socialiste, des résidents locaux, des magasins, des enfants, des chiens … Mais en même temps, vous pouvez sentir la présence de quelque chose d’indicible et d’invisible, cet étrange sensation d’être dans un endroit marqué par la souffrance humaine. Grbavica est un microcosme auquel appartiennent Esma et les autres protagonistes. Etymologiquement, le mot Grbavica veut dire "la femme bossue". Même si c’est un peu difficile à prononcer, ce mot ingrat donne une bonne idée du monde d’Esma. »

- : « Quelle est la genèse de l’histoire ? »

J. Z. : « Lorsque la guerre a éclaté, j’étais contente parce que mes examens de maths étaient annulés. J’étais une adolescente et ce qui m’intéressait le plus, c’était le sexe, ou plutôt parler de sexe, rêver de sexe comme de la plus haute manifestation de l’amour. Mais en 1992, tout a changé brusquement et j’ai réalisé que je vivais une guerre, dans laquelle le sexe était utilisé comme une arme de guerre pour humilier les femmes et provoquer la destruction d’une communauté ethnique ! 20.000 femmes ont été systématiquement violées pendant la guerre en Bosnie. Je vivais à 100 mètres de la ligne de front et pourtant c’était cette facette du conflit qui m’effrayait le plus. Dès lors, le viol et ses conséquences sont devenus pour moi une obsession : je lisais tout ce qui avait trait à ce sujet. Je ne savais pas encore pourquoi je le faisais ni ce que je voulais en faire. Lorsque mon enfant est né, cet enfant qui est le fruit de l’amour, devant cette maternité qui a remué tout une série d’émotions en moi, j’ai reçu un immense choc. Je me suis demandé quel sens émotionnel cette maternité pouvait avoir pour une femme dont l’enfant avait été conçu dans la haine. C’est à ce moment là que j’ai compris ce que j’attendais de Sarajevo, mon amour et que je l’ai écrit, entre deux tétées. »

- : « Vous avez écrit le scénario et réalisé le film… Quels étaient les points importants dans le développement des personnages ? »

J. Z. : « Un jour, après le décès d’une personne qui m’était chère, je me suis levée le matin et je me suis brossé les dents. Je me suis demandé si ce monde existait encore, comment il pouvait encore exister et que je me brosse les dents, comment chaque chose pouvait encore être à la même place qu’hier, comme s’il ne s’était rien passé. Malgré ma souffrance personnelle, pas une feuille de plus ne tomberait des arbres. Je pensais à Esma dans les mêmes termes. Sa tragédie n’arrête pas le monde de tourner. Sa vie continue, elle prépare un sandwich pour sa fille, elle continue à rire et à plaisanter, elle repasse, elle prend le métro …. Pendant que j’écrivais le scénario, puis lorsque je tournais le film, je considérais chaque chose depuis ce point de vue. Avec Christine Maier, la directrice de la photographie, nous pensions que la photo, dans son mouvement et sa composition, ne devait pas être dramatique, afin de nous accompagner dans cette vie quotidienne, sous laquelle bouillonnent des volcans. Nous approchons Esma autant qu’elle nous le permet, à la distance qu’elle nous accorde. Ce qui était également très important pour nous, c’était de faire de Sarajevo l’un des personnages du film. »

- : « Auprès du public international, Mirjana Karanovic est problablement mieux connue pour ses rôles dans les films d’ Emir Kusturica. Mais depuis pas mal de temps, elle n’avait pas eu de rôle à la mesure de sa qualité de jeu et de son charisme. »

J. Z. : « Mirjana est une grande artiste. Elle est comme un instrument de musique secret qui peut jouer toutes les variations de l’ame humaine et que la moindre fausse note peut affecter. Elle joue toujours sur plusieurs dimensions. Puisque Esma a un secret, chacun de ses mots est un mensonge, presque toutes ces affirmations ont un sens différent. Mirjana possède plusieurs couleurs. J’ai beaucoup appris d’elle, et plus je travaillais avec elle, plus je l’admirais. "Papa est en voyage d’affaires" de Emir Kusturica est l’un de mes films préférès. Mirjana y interprète Sena, la mère. Si on compare ces deux personnages joués par Mirjana, un qui évolue durant la période socialiste et l’autre aujoud’hui, on peut observer la transition qui s’est opérée dans la société et à l’intérieur d’une femme dans le même pays. »


- : « Vous donné à chacun des acteurs, y compris aux plus petits rôles, l’occasion de briller … »

J. Z. : « Sarajevo, mon amour (Grbavica) est avant tout un film d’acteurs. J’étais consciente du fait que je ne pouvais faire vivre ce film qu’avec de bons acteurs, particulièrement pour les rôles de la mère et de la fille. C’est pourquoi nous avons passé beaucoup de temps sur le casting. Par exemple, nous avons auditionné plus de 2.000 enfant dans des dizaines d’écoles. Nous en avons sélectionné 200 pour des entretiens personnalisés. Puis nous avons travaillé pendant une semaine avec 20 d’entre eux, afin de déceler lesquels possédaient un talent d’acteur, mais également leur faculté de progresser, leur capacité de concentration et leur réaction aux indications de mise en scène. Comme pour les autres acteurs, après une sélection longue et rigoureuse, nous avons beaucoup répété, parfois dans les décors rééls, afin que tous s’habituent à l’univers qu’ils allaient devoir créer. Ce qui m’a vraiment rendue heureuse, en dehors du fait que les acteurs étaient vraiment professionnels, c’est qu’ils aimaient leurs personnages, le scénario et l’équipe. Chacun voulait donner le meilleur de luimême. Ca m’encourgeait vraiment. »

- : « Comment travaille-t-on avec des enfants sur un tournage ? »

J. Z. : « Luna Mijovic (13 ans, qui joue Sara) et Kenan Catic (14 ans, qui joue Samir), tout comme les autres jeunes acteurs, n’étaient pas traités comme des enfant, mais comme des auteurs de notre projet. C’est de cette façon qu’ils ont compris leur rôle, ils étaient très sérieux, responsables et créatifs. Au delà de cet aspect professionnel, toute l’équipe les aimait, ils sentaient qu’ils avait toute notre confiance. »

- : « La musique et les chansons jouent un rôle très important dans le film. Deux chansons apparaissent à des moments très significatifs du film : il commence par une Ilahija, et finit par un tube des années 70. Dans l’intervalle, on trouve des tubes de musique turbo folk … »

J. Z. : « La vie intime de Esma n’est pas dialoguée et peut être exprimée avec plus de profondeur par la musique qui trouve là une fonction dramatique. Les Ilahijas, qui sont des chansons dédiées à Dieu, expriment ses sentiments et poussent Esma à parler. En contraste avec la sensibilité des Ilahijas, nous avons l’agressivité et le rythme de la musique turbo folk, très spécifique des Balkans modernes. (le turbo folk est un genre musical né en Serbie. Il constitue le genre musical dominant de l’ère Milosevic, souvent associé à la guerre, la mafia et la culture machiste qui l’ont accompagné. Il reste encore très populaire aujourd’hui). Dans d’autres scènes, la musique pour mettre en opposition les émotions de Esma et de Sara ou bien comme élément intégrant de leur environnement. Le film s’achève sur une chanson populaire "Sarajevo, mon amour", souvent chantée lors des voyages scolaires. C’est un morceau enlevé qui met en valeur les sentiments de Sara. Lorsque Sara chante avec les autres, cela l’aide à se sentir en harmonie avec ses pairs. Les paroles suggèrent le possible retour de Sara, même si je voulais que la fin reste ouverte. »

- : « Bien que l’histoire d’Esma et de Sara soit essentiellement triste, elle est également très optimiste. Peut-on envisager un possible pardon envers le père de Sara ? »

J. Z. : « Je pense qu’avant cela, il faut qu’il y ait repentir de la part des criminels de guerre, puis ensuite pardon de la part des victimes. L’un des problèmes en Bosnie Herzégovine est que peu de gens se repentent de ce qui est arrivé. Plus de 100.000 personnes ont été tuées, 1.000.000 expulsées – et pratiquement pas de pénitence. D’un autre côté, il est interessant de constater que le sentiment de vengeance n’existe pratiquement pas, ce qui est une grande victoire pour notre société. Je crois qu’Esma ne pense ni au pardon ni à la vengeance. Sara est une victime, mais également la mémoire du crime. Notre avenir est fait de la reconnaissance de ces deux composantes, puisque toutes deux font partie de nous. Elles sont en nous. »

- : « Quelles sont les conditions de tournage en Bosnie Herzegovine ? »

J. Z. : « La Bosnie Herzegovine est le seul pays d’Europe qui ne dispose ni de caméra 35mm, ni de labo de cinéma. Cette absurdité date de la création du cinéma en Bosnie. Nous manquons de professionnels, et nous essayons de palier ce manque en faisant appel à du personnel d’autres pays de l’ex-yougoslavie, ou comme ici des pays co-producteurs. Mais je crois que nous avons un besoin urgent de raconter notre histoire, ce qui fait passer au second plan toutes nos autres insuffisances. »


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Fiche technique
Scénario et réalisation : Jasmila Zbanic
Directeur de la photographie : Christine A. Maier
Directeur artistique : Kemal Hrustanovic
Costumes : Lejla Hodzic
Maquillage : Halid Redzebasic
Montage : Niki Mossböck
Son : Igor Camo et Tom Weber
Directeur de casting : Oriana Kuncic
Producteurs : Barbara Albert, Damir Ibrahimovic et Bruno Wagner
Co-producteurs : Boris Michalski et Damir Richtaric
Chef monteur : ZDF-Das Kleine Fernsehspiel et Jörg Schneider

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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de

remerciements à
Jean-Loup Ballard
logos, textes & photos © www.iddistribution.com

Publié dans PRÉSENTATIONS

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