Fair play

Fair play thriller de Lionel Bailliu

avec :
Benoît Magimel, Marion Cotillard, Jérémie Rénier, Éric Savin, Mélanie Doutey, Jean-Pierre Cassel et Malcolm Conrath
durée : 1h38
sortie le 6 septembre 2006

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Synopsis
Un patron dominateur compulsif, une nouvelle recrue à l’arrivisme forcené, un cadre calculateur et machiavélique et une employée trop victime pour être honnête règlent leurs comptes sur les terrains de sport.
La sueur se mêle à la manipulation, la domination sportive se transforme en harcèlement et la résistance physique devient le dernier rempart contre le licenciement…
Aviron, squash, parcours santé, golf, canyoning, le noeud de vipères ne cesse de se resserrer jusqu’à ce que les masques, et les hommes, tombent.
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Entretien avec Lionel Bailliu
- : « Quelle était l’intention première de Fair play ? »
Lionel Bailliu : « Mon intention était de parler de harcèlement psychologique à travers des séquences de sport. J’étais à la fois attiré par le défi d’avoir à filmer des séquences d’action qui n’étaient ni des poursuites en voiture, ni des fusillades, et séduit par la perspective d’essayer d’en faire aussi un film d’acteurs avec de vrais rapports de force entre les personnages. Et puis, l’idée de traiter d’une violence ordinaire, moins spectaculaire que celle des banlieues mais toute aussi ravageuse comme celle qui existe dans le monde de l’entreprise, m’interessait. »
- : « … que vous évoquez sans jamais montrer l’ombre d’un bureau.
Tout est raconté à travers les sports que pratiquent les protagonistes. Pourquoi ce parti pris ? »
L. B. : « D’abord, je trouve une partie de squash beaucoup plus cinégénique qu’un conseil d’administration. Ensuite, je n’avais pas envie de rentrer dans les détails quotidiens de cette entreprise qui, après tout, pourrait être n’importe quelle entreprise. Au contraire, sans aborder de spécificités, on reste à un niveau de stylisation qui permet à tout le monde d’y projeter sa propre expérience, sans pour autant retrouver la banalité de la vie en entreprise. Enfin, et surtout, il est évident que la vie des salariés ne se limite pas aux murs des bureaux où ils travaillent. Il se passe souvent des choses bien plus intéressantes en dehors, au café d’à côté, en soirée, en séminaire, et éventuellement sur les terrains de sport… »
- : « En quoi le cadre sportif vous paraît-il plus particulièrement intéressant ? »
L. B. : « En dehors du côté spectaculaire, je trouve que c’est un excellent révélateur de la personnalité ou de l’état émotionnel d’un individu. Et puis cela place aussi les personnages dans une intimité beaucoup plus forte que les activités typiques de la vie de bureau. Courir en sueur à côté de son supérieur hiérarchique n’est pas une perspective réjouissante pour tout le monde…
En tout cas, dans Fair play, j’ai essayé de faire en sorte qu’il y ait toujours un écho entre le bras de fer psychologique et l’activité sportive. On rate un coup de golf à la suite d’une réplique bien sentie, on s’engouffre dans le parcours santé pour fuir un collègue un peu trop collant, on perd au squash parce qu’on vient d’être traité de looser… Le sport peut aussi être utilisé comme outil d’humiliation ou de domination. »
- : « Y a-t-il une part d'autobiographie dans le film ? »
L. B. : « Non, je ne suis pas un traumatisé du harcèlement moral et le film n’est pas inspiré de mon expérience du monde de l’entreprise ! D’ailleurs, ce cadre n’est finalement qu’un prétexte. On parle de relations humaines, de manipulations psychologiques, de rapports de force, de personnalités dominatrices, autant de thèmes qui auraient pu être développés dans un contexte familial, amical, amoureux… C’est une extrapolation de toutes ces petites violences ordinaires dont chacun a été victime un jour ou l’autre… »
- : « Au delà de cet angle pour parler de l’entreprise, Fair play suit une narration très particulière, pouvez-vous nous en parler ? »
L. B. : « En fait, c’est un peu comme s’il n’y avait que six scènes dans le film. On commence par quatre scènes de duels pendant lesquelles l’intrigue se noue : aviron, squash, parcours santé et golf. Puis, tous les personnages se retrouvent pour la grande séquence de canyoning. Et enfin, il y a un épilogue autour d’une piscine. On découvre un nouveau personnage à chaque scène et une part non négligeable de l’histoire se déroule “off”, comme c’est souvent le cas au théâtre. »
- : « Pourquoi une structure pareille ? »
L. B. : « La première raison est qu’à l’origine, mon but était de faire un long métrage autour de mon court-métrage Squash, qui durait 27 minutes. Il se posait donc immédiatement le problème d’intégrer une scène aussi longue dans un film. Et la solution que j’ai trouvée a été simplement de l’entourer de scènes semblables à savoir : longues et montrant une action pratiquement sans ellipse (j’ai aussi raccourci Squash qui ne dure plus que 18 minutes dans Fair play).
L’intérêt était surtout de permettre de passer beaucoup de temps avec tous les personnages et de rendre compte dans le détail de tout le côté insidieux et tortueux du harcèlement et de la manipulation. Mais lorsqu’on regarde le film, je pense qu’on ne fait pas attention à la structure et qu’on est accaparé par l’histoire. »
- : « Le choix des acteurs s'est-il fait sur des critères sportifs ? »
L. B. : « Je recherchais des comédiens qui étaient prêts à donner de leur sueur pour le film, je ne pouvais donc évidemment pas négliger cet aspect du projet. C’était une condition de départ. A partir de là, certains sports nécessitaient des compétences particulières. Pour l'aviron, Benoît et Jérémie ont dû suivre un entraînement poussé. Pour le squash, ayant l’habitude de jouer avec Eric, je savais qu’il avait largement le niveau. En revanche, j’ai longtemps été inquiet pour Jérémie qui a dû suivre des cours intensifs.
Il a d’ailleurs fait des progrès exceptionnels qui lui ont permis d’être fin prêt pour le jour J. En plus d’être joueur de squash, Eric est aussi joueur de golf, il ne lui a donc pas été indispensable, comme Jean-Pierre Cassel, de faire une initiation accélérée. Ce dernier étant un sportif et un danseur, il a très vite intégré les rudiments essentiels. Quant au canyoning, ils ont tous suivi quelques cours d'escalade, de rappel et de descente. L'apnée en revanche a été difficile : cela a été un défi pour certains qui n'étaient pas très à l'aise dans l'eau… »
- : « Pendant le tournage, les acteurs ont-ils été poussés dans leurs derniers retranchements afin de servir leurs personnages ? »
L. B. : « De fait, ils l’ont été physiquement, car il y a eu des moments durs. Mais, c’est vrai, je suis persuadé que le fait d’être aussi sollicité physiquement leur a permis d’encore mieux servir leurs personnages. C’est certainement plus facile d'exprimer des émotions quand on est pris par la situation, quand on est en mouvement, en sueur, dans l’eau, sous la pluie, que lorsqu’il faut faire un gros effort d’imagination pour se mettre en situation. »
- : « La composition de Benoît Magimel est très inattendue, comment avez-vous travaillé ensemble ? »
L. B. : « Benoît a été très proactif et très volontaire dans la composition de son personnage. C'est lui qui a insisté pour avoir ce look. Il a poussé son personnage de manière surprenante. Je n’avais aucune intention de le frustrer et aucune intention non plus de le laisser sortir du cadre du film.
On a donc dû souvent multiplier les prises pour que chacun y trouve son compte. Au final, je suis très heureux de cette démarche à l'aspect un peu contradictoire et de la performance qui en a résulté. Il a fait une vraie proposition et a apporté une vraie plus-value par rapport à ce qui était écrit. »
- : « Le jeu de Marion Cotillard vous a-t-il surpris également ? »
L. B. : « Marion aussi est arrivée avec une vraie proposition et c’était très intéressant pour moi de voir son personnage se dévoiler petit à petit au cours du tournage. En plus, j’ai le sentiment de l’avoir rarement vue comme ça, c’est un visage que je ne lui connaissais pas. Elle campe un personnage effacé, timide, mal dans sa peau et qui est pourtant déterminé à se battre, même si la bataille est désespérée. Je la trouve très attachante. Et puis Marion a fait preuve d’un courage exemplaire lors du tournage du canyoning. »
- : « Eric Savin reprend le rôle qu’il avait créé dans Squash. »
L. B. : « En fait, nous nous sommes tout de suite mis d’accord pour nous écarter du personnage original pour enrichir et nuancer son caractère. La difficulté était de défendre l’humanité du personnage sans pour autant renoncer à sa cruauté, jubilatoire pour le spectateur.
Au final, il y a des moments où on le déteste, et d’autres où il est très émouvant. C’était un des objectifs : qu’on puisse aimer ou détester un même personnage au cours du film. »
- : « Ce qui est aussi le cas du personnage joué par Jérémie Rénier… »
L. B. : « … qui suit le parcours inverse. Son apparence candide et angélique ne laisse pas du tout présager la terrible finalité de son personnage. D’ailleurs, dans un extrême souci de cohérence et de réalisme, Jérémie a constamment été hanté par cet aspect d’Alexandre. Si on est vraiment attentif, on peut sentir dès le début du film les signes avant-coureurs de son évolution. C'est peut-être le personnage le plus déstabilisant car, à la fin, il nous échappe complètement. »

- : « Parlez-nous de Mélanie Doutey et Jean-Pierre Cassel… »
L. B. : « C’était un plaisir de tourner avec eux. Jean-Pierre Cassel a tout de suite apporté l’élégance et le flegme indispensables au personnage d’Edouard, le patriarche. Il émane de lui une violence tranquille qui n’a rien à envier à celles des autres, et en même temps une forme de mélancolie que j’aime beaucoup. Quant à Mélanie, elle a pris son rôle à bras le corps en me faisant plein de propositions dont on a gardé une bonne partie. Arrivant dans le panier de crabes déjà constitué, son défi était d’exister, elle rayonne. Son personnage, très positif, nous permet de recharger nos batteries au début du canyon, alors qu’on sort de quatre séquences très tendues et qu’on s’apprête à aller vers plus de tension encore. »
- : « Comment avez-vous abordé les difficultés du tournage ? »
L. B. : « D’une part en préparant beaucoup, d’autre part en faisant le pari de se dire que ces difficultés iraient dans le sens du film. Je voulais une action claire, proche des personnages, avec un rendu aussi réaliste que possible. Je ne cherchais pas particulièrement à cacher l’inconfort dans lequel nous nous sommes souvent trouvés. Cela rendait les choses plus faisables que si nous avions voulu ne faire que des plans sophistiqués et bien léchés. On a donc une image qui bouge parfois beaucoup, un montage très opportuniste et un recours très limité aux effets numériques. »
- : « Est-ce que filmer du sport était une difficulté à part entière ? »
L. B. : « En un sens, oui, parce que le sport est un spectacle qui occupe aujourd’hui une place de premier plan dans les médias. Tous les spectateurs sont habitués à voir des retransmissions sportives de grande qualité, faites avec des moyens considérables, dans lesquelles le direct apporte une grande part de l’émotion et de l’excitation.
Dans Fair play, j’ai essayé d’aller au-delà de la simple captation en plaçant la caméra au coeur de l’action, au plus près des personnages, ce qui, pour des raisons évidentes, est souvent impossible à la télévision. Mais le plus gros du travail a sans doute été au scénario, où j’ai fait tout mon possible pour mêler le sport aux autres éléments de l’intrigue et en particulier à la psychologie des personnages. Ainsi, au tournage, il ne s’agissait pas tant de montrer un beau mouvement sportif, que de montrer en quoi il trahissait l’émotion des protagonistes. »
- : « La séquence du canyoning a sans doute été la plus difficile à filmer. »
L. B. : « C’est certain. Presque tous les jours, j'étais obligé de simplifier ce que j'avais prévu. Dans le canyon naturel, les mises en place prenaient un temps monstrueux à cause de l’inaccessibilité et de l’impraticabilité du terrain. Le décor reconstitué à Prague nous a aussi réservé quelques surprises. Par exemple, l'eau de la grande cascade tombait trop en avant.
Elle cachait complètement les comédiens qui descendaient en rappel. On a dû trouver des astuces pour rapprocher l’eau de la paroi. Globalement le problème, c’était l’eau.Tourner dans l'eau et sous la pluie avec des caméras qui ne sont pas étanches, ce n'est pas simple ! »
- : « En dehors du canyon, quelles ont été les scènes les plus difficiles ? »
L. B. : « L’aviron et le squash ressortent nettement. Toutes les mises en place pour l'aviron étaient extrêmement longues et pénibles. Sur l’eau, tout bouge en permanence, ce qui complique considérablement les choses lorsqu’on essaie de coordonner plusieurs bateaux ensemble.
Les comédiens étaient obligés de rester plusieurs heures en équilibre très précaire, assis sur un petit siège en bois de 40 centimètres de large et sous un soleil de plomb. Et moi je devais essayer de les diriger depuis un autre bateau, à 5 ou 6 mètres de distance par talkie-walkie interposé. Pour le squash c’était différent. En fait, même si j’ai essayé de faire autre chose, c’était un remake de mon court-métrage. Je connaissais donc les problèmes et j’y étais préparé.
Les balles étaient chorégraphiées, les chorégraphies étaient répétées avec les comédiens, et le découpage pensé en fonction. Seulement, il faisait très chaud, le rythme était infernal, et le bruit des balles de squash épuisant à la longue. Nous répétions les balles. Nous les filmions. Et une fois la séquence en boîte, les acteurs allaient répéter d’autres balles pendant que nous mettions en place le plan suivant. C'était du non-stop. Les comédiens étaient laminés. »
- : « Il existe beaucoup de superbes canyons en France. En particulier, deux sites très accessibles ont été repérés par la production au nord de Nice. Il s’agit des Gorges du Loup et de La Clue de la Cerise. Mais seule une petite partie de la séquence de canyoning y a été tournée… »
L. B. : « En effet, de trop nombreux problèmes logistiques ont vite remis en cause l’idée de tout tourner en décor naturel. Parmi ceux-ci : l’accessibilité, la sécurité, la température de l’eau, la génération de la pluie (présente dans la majorité des scènes), l’acheminement du matériel, l’exiguïté de l’endroit, les risques d’hypothermie, les aléas climatiques, la complexité des scènes à tourner, les variations du débit de l’eau, etc. Il a donc été décidé de reconstituer les principaux décors du canyon sur le backlot des studios Barrandov à Prague (où plusieurs grosses productions internationales ont été tournées : Mission impossible, Les frères Grimm, Oliver Twist, La mémoire dans la peau et même une partie de Casino royale, le prochain James Bond…)
A partir de modèles en pâte à modeler faits par le réalisateur, l'équipe de décoration a conçu deux énormes constructions : une chute d’eau de 16 mètres de haut, et près de 80 mètres de gorges. Pour compliquer les choses, ces deux décors devaient pouvoir être partiellement immergés, le débit de l’eau devait pouvoir être facilement contrôlable et, bien entendu, ils devaient être praticables puisque les acteurs allaient marcher dessus, les escalader ou encore faire du rappel le long des parois. Ces dernières contraintes ont conduit le chef décorateur à envisager une construction en béton. 150 tonnes d'un béton très spécial (utilisé pour les parcs d’attraction) ont été acheminées à Prague.
Forts de ce décor reconstitué, le réalisateur et le chef opérateur se sont fixés un parti pris : filmer tous les plans comme s'ils avaient été en décor naturel. (Par exemple : ils ont renoncé à avoir recours à une grue qu’il aurait été impossible d’emmener au fin fond d'un canyon.) Et de fait, même si les décors étaient accessibles et contrôlables, y tourner restait une expérience de tournage extrême : aussi exigus que les décors naturels, de l’eau jusqu’à la taille, la caméra à l’épaule, sous la pluie, souvent en équilibre précaire, cela reste assurément un souvenir à part pour toute l’équipe. »

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Fiche technique
Réalisateur : Lionel Bailliu
Scénario et dialogues : Lionel Bailliu
Directeur de la photo : Christophe Paturange
Cadre et steadicam : Eric Bialas
Décors : Jean-Jacques Gernolle
Costumes : Anne David
Montage image : Sylvain Dupuy et Lionel Bailliu
Montage son : Marc Bastien
Son : Dominique Warnier, Alek Goosse et Franco Piscopo
Musique originale : Laurent Juillet et Denis Penot
1er assistant réalisateur : Thomas Tréfouel
Scripte : Christine Ferrer
Casting rôles : Pierre-Jacques Benichou
Directeur de production : Marc Vadé
Producteur délégué : Manuel Munz Les Films Manuel Munz
Coproducteurs : Entre Chien et Loup, Diana Elbaum et Sébastien Delloye, Okko Production, Olda Mach et M6 Films
Avec la participation de : Tps Star - M6 et Tf1 International
Avec le soutien de : Eurimages, La Procirep et L’Angoa-Agicoa
En association avec : Sogecinema 4
Avec l’aide : du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Communauté française de Belgique et des télédistributeurs wallons
Avec le soutien : du Tax-Shelter du gouvernement fédéral belge et avec la participation du Tax Shelter du Groupe Mestdagh
Producteurs associés : Marc Jenny, Araneo Belgium et Léon Perahia
Ventes à l’étranger : TF1 International
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