• Bye bye blackbird

Publié le par 67-ciné.gi-2006













Bye bye blackbird drame de Robinson Savary








avec :
James Thierree, Derek Jacobi, Jodhi May, Michael Lonsdale, Izabella Miko, Carlos Pavlidis, Andrej Acin, Niklas Ek, Peter Stein, Vera Billa

durée : 1h39
sortie le 11 octobre 2006

***

Synopsis
Ouvrier sur des chantiers en hauteur au début du siècle dernier, Josef voit son meilleur ami disparaître sous ses yeux dans des circonstances étranges. Il se réfugie dans un cirque afin de rejoindre Alice, une jeune et belle trapéziste avec laquelle il s’est mis en tête de partager un numéro de voltige.
Lord Dempsey, le père d’Alice, cède peu à peu à ce caprice, séduit par le talent d’acrobate du jeune homme et par nécessité d’insuffler du sang neuf à son cirque déclinant. Le jour de la première approche.
Nina, sombre écuyère et fille adoptive de Lord Dempsey, s’identifie en silence au désir qui grandit entre Alice et Josef.
Comme c’est souvent le cas dans le monde imprévisible du spectacle, l’issue du numéro n’est pas celle que l’on attend. Succède à ce moment magique une tragédie qui révèle à chacun des personnages son vrai visage et qui fait de Josef une bête de foire.


***

Entretien avec Robinson Savary
Kafka
Robinson Savary : « L’histoire de Bye bye blackbird est née de la lecture d’une petite nouvelle de Kafka intitulée Première souffrance et à l’esprit de laquelle je suis resté fidèle. Elle se trouve dans le recueil Un artiste de la faim dont les nouvelles se situent dans l’univers du music-hall, du théâtre populaire juif et du cirque. Kafka adorait ces endroits lugubres où de misérables petites troupes de théâtre refaisaient le monde avec des bouts de ficelle, ce mélange de grandiose et de pauvreté. Première souffrance fait trois ou quatre pages et s’arrête quasiment au milieu d’une phrase, mais le souvenir que laisse cette nouvelle est très fort, on veut en savoir plus... Même si Bye bye blackbird n’est en aucun cas une adaptation de la nouvelle qui a agît plus comme une étincelle, le fantôme de Kafka est présent dans le film. J’avais même pensé faire apparaître un personnage qui ressemblerait à Kafka et qui viendrait la nuit observer Josef au moment où celui-ci s’enferme dans sa solitude. A la fin de la nouvelle, le jeune héros voyage en train avec son impresario et tandis que celui-ci est assis sur la banquette, lui dort dans le filet à bagages pour rester suspendu. Soudain, l’impresario regarde ce jeune homme dormir et voit naître une ride au coin de son œil. Cette première ride, c’est un peu l’histoire du film : comment un jeune garçon plein d’idéal va vivre une épreuve douloureuse et devenir un homme. »

Une écriture particulière
R. S. : « J’ai eu deux exigences d’écriture avec Arif Ali-shah. Que l’ensemble de l’action ne sorte jamais du campement du cirque, et que nous arrivions à maintenir une structure linéaire au scénario. Un destin se vit de manière linéaire et je voulais éviter l’usage du flash-back, souvent utilisé à tord pour ajouter une dynamique artificielle au récit. Il s’agissait de donner le sentiment d’une tragédie inéluctable, de la fatalité. À l’arrivée, on a coupé une trentaine de pages au scénario car nous n’avions pas le temps de tourner ce qui était écrit. C’est ce qui donne ce ton particulier au récit, un peu comme un conte avec des ellipses très franches, comme si on passait d’un chapitre à l’autre, sans transitions. J’ai pris le parti de cette contrainte au montage et à l’arrivée, cela donne un film truffé de sous-entendus liées à des scènes qui ont disparu. Cela stimule l’imagination ! (rires). »

Trouver James Thiérrée
R. S. : « Pendant deux ans, j’ai imaginé toutes les solutions de casting pour le personnage principal et j’ai perdu beaucoup de temps à essayer de contacter des acteurs bankable et injoignables. Jusqu’au jour où je suis allé auditionner de jeunes comédiens américains à Los Angeles. Il y en avait de très bons, mais aucun que je puisse raisonnablement imaginer sur un trapèze. Le personnage de Josef s’exprime avant tout physiquement. Il danse plutôt qu’il ne parle. Découragé après les auditions, j’ai entendu parler de Flora Plum, un projet que Jodie Foster préparait comme réalisatrice et qui se déroulait dans l’univers du cirque. Je me suis procuré la fiche technique du film, dont le tournage venait d’être annulé. À la ligne "coach de trapèze", j’ai repéré le nom d’un certain Richie Gaona qui donnait des cours de trapèze dans son jardin de la banlieue de Los Angeles et je suis allé le voir pour lui exprimer mon désarroi. Alors que je lui montrais les premières photos que je venais de faire de Lonsdale en clown triste, de Jean Babilée en funambule (un autre très bel absent dans Bye bye blackbird), et de Carlos Pavlidis en ouvrier de cirque, les yeux de Richie Gaona se sont mis à briller et il s’est exclamé : "J’ai la personne qu’il te faut !" Il venait d’entraîner James Thiérrée au trapèze pour le film de Jodie Foster et dès la fin du cours, il m’a enfermé chez lui devant la télé pour découvrir sur sa télé les vidéos des séances d’entraînement. Pour rencontrer un garçon qui vivait à 300 mètres de chez moi à Paris, il me fallait parcourir le monde, me tromper de direction, et atterrir chez un trapéziste Mexicain de Los Angeles! Peut-être y a-t-il une certaine sagesse à tirer de ces parcours improbables qui vous mènent, on ne sait trop comment, à la bonne personne. »


Alter ego
R. S. : « Le jour où j’ai rencontré James Thiérrée, j’ai compris que le film devenait enfin faisable, que j’avais trouvé la personne qui permettait de passer du rêve à la réalité. Nous avons organisé une séance photo où James s’est imposé d’emblée comme une évidence à mes yeux et aux yeux des producteurs alors même que personne à l’époque ne savait qui il était. James avait une telle force sur ces photos, il semblait tellement dans son élément sur le trapèze que plus personne n’a jamais remis en question ce choix. Avant le tournage du long-métrage, je l’ai suivi pendant deux mois et demi et l’ai filmé dans son univers à lui, ce qui a créé une confiance inébranlable entre nous. Si on est capable de se laisser filmer dans une situation aussi intime que la création d’un spectacle comme La veillée des abysses, où James cherchait sans plan établi, c’est qu’on est en confiance. Ce temps de tournage ressemblait à la danse que mène le dresseur avec un fauve. On se jaugeait, chaque jour j’approchais un peu plus ma caméra, et je n’ai gardé dans le portrait que les images des 15 derniers jours où James ignorait totalement ma présence. James et moi, on s’est beaucoup aidé, lui à devenir acteur et moi à devenir réalisateur en le filmant. »

Filiation
R. S. : « James comme moi devons négocier avec la filiation, et je crois qu’on a résolu ce point par le travail, en évitant la révolte stupide et en tachant d’intégrer ce qu’il pouvait y avoir de bon chez nos aïeux tout en menant notre propre chemin. On ne parvient pas à cela d’emblée, mais lorsqu’on y parvient, on est guéri pour toujours contre toute forme d’amertume ou de frustration. Le cliché, c’est de penser "ça doit être dur d’être le fils de...", ou au contraire, "tout doit être plus facile quand on est le fils de...". Tout cela ne mène qu’à des absurdités ou à des banalités. Au Moyen-Orient, on ne s’étonne pas qu’un joueur de cithare ait été formé par son père et qu’il descende d’une dynastie de musiciens. Si on est fils de cuisinier, on a la chance d’avoir le droit de traîner en cuisine et de tremper son doigt dans la sauce! James et moi avons ça en commun. On a eu le privilège d’entrer en cuisines. Vis-à-vis de mon père, c’était important de partir faire ce film à l’étranger, de ne jamais rien lui demander, et de pouvoir un jour revenir et l’inviter à découvrir la chose finie. Quand il a vu mes premiers courts-métrages, Jérôme a toujours pointé ce qui n’allait pas. Avec Bye bye blackbird, il est sorti du cinéma que j’avais loué pour lui et m’a appelé sur mon portable pour m’asséner un verdict définitif : "Ton film a de L’A – VE – NIR !". Cela tombait bien car à ce moment-là je trouvais qu’il manquait cruellement de "présent" ! Sur Bye bye Blackbird, j’ai beaucoup utilisé des techniques de théâtre, comme les toiles peintes, un certain rapport frontal aux décors. Il y a aussi une dimension opératique qui s’exprime dans le plan d’ouverture du film avec cette traversée des nuages qui est un peu comme un lever de rideau. Si je suis encore réticent à faire du théâtre, j’adorerais faire de l’opéra, le seul art à n’avoir pas changé depuis la nuit des temps. »

Tournage
R. S. : « Le tournage de Bye bye blackbird a duré quarante-huit jours d’octobre à décembre 2003. Les partis pris de mise en scène ont toujours été dictés par les contraintes. J’ai réduit beaucoup de scènes de cinq à six plans prévus à un seul plan à l’arrivée, et la caméra ne bouge que lorsque c’est absolument justifié, comme lors du numéro de trapèze où l’on danse littéralement avec les acteurs. Ce numéro est né de mes conversations avec James. Il avait pour seul guide les trois pages et demie de description du scénario, mais la danse est aussi difficile à décrire que la musique. Il en a pourtant retenu les idées essentielles et les a réorchestrées en s’enfermant pendant un mois dans un hangar près du lieu de tournage avec sa partenaire Izabella Miko. Nos savoir-faire respectifs ont fonctionné en symbiose. Je passais découvrir les figures, puis j’imaginais comment les filmer, et en retour, il les modifiait en tenant compte de ma vision. Une chose était claire pour James, il fallait que le numéro commence et finisse "fort". Une chose qu’il sait de ses parents, et de leur expérience du music-Hall où l’argument compte moins que l’efficacité immédiate sur le spectateur. Le plan où James enlève Izabella et s’envole avec elle en spirale a nécessité 17 prises, dont une seule était bonne. À la fin de la prise, les 250 figurants présents dans les gradins se sont levés comme un seul homme et ont applaudi pendant dix minutes sans se soucier que la caméra tourne ou non. On ne savait plus si nous étions sur un tournage de cinéma ou témoins d’un vrai spectacle. Nous avions le sentiment d’avoir assisté à un moment unique. Ce plan-là dans la boîte, tout le monde était soulagé, on savait qu’on avait le moment magique qui ferait tenir toute l’histoire, qui rendrait crédible l’incapacité de notre héros à revenir sur terre.
Au bout de deux jours de tournage, j’ai compris que James ne sonnait juste dans les dialogues que si je lui donnais simultanément une chose physique à jouer. Du coup, j’ai réduit de moitié ses dialogues et j’ai mis en avant son côté animal. Le déclic définitif est venu le jour où nous avons tourné la scène du retour d’Alice où James ne la reconnaît pas. Ce jour-là, James est devenu un véritable acteur de cinéma. Il n’avait plus besoin de béquilles pour laisser sortir ses émotions profondes. C’était un moment très spécial pour lui comme pour moi, le sentiment de ne plus avoir besoin de se parler, que le personnage existait par lui-même.
»


Le cirque au cinéma
R. S. : « Le Cirque est un univers clos, hyper hiérarchisé, dans lequel tout le monde subit d’une manière ou d’une autre les mêmes aléas, le froid, la saleté des terrains vagues, les odeurs d’animaux. Naturellement, j’ai vu tous les films importants sur le cirque, mais j’ai laissé infuser plutôt que je n’ai cherché à citer. Il s’agissait d’inventer mon propre cirque à partir de tous les autres et pour cela de les oublier. Le seul metteur en scène à qui j’ai emprunté consciemment est Michael Powell, mais j’ai emprunté des principes de récit plutôt que je n’ai opéré des clins d’œil visuels. Lorsque James refait le numéro des oiseaux blancs sans Alice, c’est un peu lorsque l’on voit les chaussons rouges danser seuls sur la scène après le suicide de l’héroïne dans le film du même nom. Le regard est porté sur l’absence et non sur la présence de l’un des protagonistes. »

Le chapiteau
R. S. : « Le chapiteau est l’un des personnages principaux du film. Il a été fabriqué entièrement en bois, en acier et en toile. Pour fabriquer la toile de coton, nous nous sommes adressés à un vieux Monsieur Hollandais qui l’a cousu seul avec sa femme dans ses ateliers près de La Haye. C’était le dernier chapiteau de sa vie d’artisan et lorsqu’il l’a vu terminé et monté dans le studio, une larme est tombée sur son costume trois pièces... Le principe était d’allier les spécificités d’un vrai chapiteau de cirque avec les besoins du film, du scénario. Nous l’avons conçu comme une boîte à magie dont la coupole pouvait descendre ou monter grâce à un système de poulies afin de simplifier la mise en place de la caméra. Je crois qu’il n’y a pas un seul angle de prise de vue du chapiteau qui n’ait pas été exploité dans le film. C’était comme une architecture vivante, flexible, qui changeait au cours de l’histoire. La texture de la toile est comme une peau d’être humain qui vieillit, qui respire, qui se ride et s’abîme. Traditionnellement, on offre un verre pour le dernier jour de tournage de chacun des acteurs principaux. On a fait la même chose pour le chapiteau. Ce jour-là, nous tournions la scène où Michael raccommode la toile du cirque dont la structure est descendue au sol. Tout le monde était étrangement mélancolique. Cette toile ressemblait alors à la baleine échouée à la fin de La Dolce Vita. Un animal échoué qui vous regarde d’un drôle d’oeil. »

Esthétique
R. S. : « Avant le tournage, j’avais établi une bible visuelle qui comprenait aussi bien des photos de Robert Frank, d’Izis, d’August Sander, des images du Cirque de Calder, mais aussi beaucoup d’images d’architecture foraine, ou parfois des images issues d’univers différents mais dont l’humeur, par recoupement, rejoignait l’esprit du film. Initialement, j’aurais aimé tourner en noir et blanc. Comme c’était impossible, je me suis accommodé de cette contrainte et j’ai décidé de prendre pour référence les photos Noir et Blanc d’autrefois repeintes à la main en couleurs. Pour m’approcher de cette technique de colorisation, j’ai demandé au décorateur de retirer les couleurs des décors, qu’ils soient presque monochromes, afin que seuls les costumes agissent comme des tâches de couleurs. Aujourd’hui, je constate que quinze jours après la projection, beaucoup de gens ont l’impression d’avoir vu un film en Noir et Blanc... »

Un esprit de troupe
R. S. : « J’ai accordé une importance particulière à la troupe du cirque Dempsey. Je tenais à éviter le défilé de sales gueules, et il me semblait important que dans un univers de studio où tout est recréé artificiellement, on sente la présence de vraies gens. J’ai recruté beaucoup d’acteurs non professionnels, de figurants de la région de Metz, une région où l’on trouve des vies et des visages qui connaissent la dureté propre au monde du cirque. On a tourné le film au Luxembourg que les gens identifient aux banques, mais c’était il y a 30 ans encore un pays de métallurgie, et j’ai voulu qu’on sente cet arrière-plan ouvrier. Tout le film a été tourné dans d’anciens hauts-fourneaux que nous avons transformés en studios de fortune. La fanfare du cirque est composée de mineurs et d’anciens ouvriers de l’Arbed, une filiale luxembourgeoise d’Arcelor. Carlos Pavlidis, le nain qui incarne le chef des ouvriers, a joué pendant trente ans avec mon père, mais il a lui aussi fréquenté à la fois le cirque (ancien cornac chez Jean Richard dans les années 60) et les chantiers navals (il faisait des soudures dans les calles des navires en Allemagne). Carlos est décédé après le tournage et le film lui est dédié. C’était un homme extraordinaire, qui parlait neuf langues. Sur le tournage, il m’appelait Savary alors que toute ma vie, il m’avait appelé "Roro". Signe que pour lui, j’étais devenu patron. Il passait son temps avec Michael Lonsdale et le contraste physique entre eux était saisissant. Quand Carlos est mort, Michael, d’une voix douce, a juste dit "Quel grand homme ! Paix à son âme !" et je crois que c’est un peu ça, le film, des fils tissés entre des gens venus d’horizons différents qui se sont appréciés le temps d’un tournage.  »


Un ballet de nationalités
R. S. : « Je ne pouvais pas rêver plus bel assemblage que celui incarné par l’équipe de Blackbird. Il y avait 13 nationalités sur le plateau, mais nous parlions tous la même langue, celle du cinéma. Alors que les cinémas nationaux semblent avoir peur, alors que dans chaque pays l’industrie se replie sur elle-même et sur sa langue, notre chapiteau ressemblait à une église ou à un navire de fortune sans autre religion que celle du cinéma. Tout le film a été tourné dans le même studio, et nous nous sentions comme ces immigrés Hongrois ou Tchèques qui se rendirent à Hollywood pour offrir leurs services au Nouveau Monde. Ça ressemblait à un tournage de la Rko ou à une comédie musicale de Negulesco. »

***

Fiche technique
Réalisation : Robinson Savary
Scénario : Robinson Savary, Patrick Faure et Arif Ali-shah
Image : Christophe Beaucarne
Montage : Emmanuelle Castro
Son : Jean-claude Laureux, Nicolas Moreau, Olivier Goinard et Sylvain Malbrant
Décors : Wilbert Van Dorp
Costumes : Hazel Pethig
Musique originale : Mercury Rev
Production : Jani Thiltges
Co-producteurs : Christine Alderson, Peter Schwartzkopff, Ute Schneider et Dany Krausz
Chorégraphies aériennes : James Thiérrée
Effets spéciaux : Magic§More
Mixage : Daniel Sobrino
Distributeur : Friday Films

***




présentation réalisée avec l’aimable autorisation de

remerciements à Cécile Oliva
logos, textes & photos © www.fridayfilms.com

Publié dans PRÉSENTATIONS

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article