Distorsion (Distortion)

Distorsion (Distortion) drame de Haïm Bouzaglo

avec :
Haïm Bouzaglo, Smadar Kilchinsky, Amos Lavi, Danny Rytenberg, Avi Gilor, Dor Zweigenbom, Zufit Grant, Haïm Zenati et Ziv Meir
durée : 1h47
sortie le 29 novembre 2006
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Synopsis
Bouleversé par un attentat-suicide auquel il a réchappé, un auteur de théâtre est incapable d'écrire une ligne de la pièce qu'il doit livrer dans les tous prochains jours…
Sa femme, réalisatrice de documentaires, prépare de son côté le portrait d'un ancien militaire brisé par la vie.
Par jeu, et peut-être aussi par méfiance, l'auteur de théâtre engage un détective privé pour suivre sa femme. Au fil des récits de l'enquêteur, la pièce s'écrit progressivement, miracle d'une rencontre entre réalité et fiction…
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Entretien avec Haïm Bouzaglo
- : « Est-ce la vague d'attentats qu'a connue Israël pendant la seconde Intifada qui a été le point de départ du film ? »
Haïm Bouzaglo : « Alors que nous étions en pleine vague d'attentats, je me souviens avoir dit à mon cadreur qu'à chaque fois qu'il se produit un événement tragique en Israël, il faut attendre une dizaine d'années avant que le cinéma n'en parle. Je me suis alors dit qu'il serait intéressant - pour une fois - de réagir à chaud : une semaine plus tard, j'avais écrit le scénario et trois semaines après, on commençait le tournage… »
- : « Dans quelles conditions avez-vous tourné ? »
H. B. : « On a tourné Distorsion en dix jours ! La réalité vécue pendant ces dix jours-là n'a cessé d'imprégner le film : lorsqu'il y a eu une alerte à la bombe, nous avons capté ces moments que j'ai gardés ensuite au montage. J'ai souhaité que le matériau documentaire s'intègre pleinement à la fiction. »
- : « Le film se situe à mi-chemin entre auto-fiction et "work in progress"… »
H. B. : « Oui, il s'agit en fait d'un jeu de miroirs entre le cinéma, le théâtre, la caméra cachée, le matériau documentaire et la vie ! Tous ces éléments coexistent en même temps et, pour moi, la bombe finale nous tire de ce cauchemar : on passe alors d'une construction fragmentée à un récit qui retrace la situation de la société israélienne pendant la période des attentats. Il faut bien se rappeler que c'était une période très particulière où on risquait sa vie en allant retirer de l'argent à un distributeur ou en allant boire un verre au café du coin. »
- : « Il y a comme un sentiment d'absurdité qui règne dans le film - le sentiment que tout peut s'arrêter d'un moment à l'autre... »
H. B. : « Oui, et c'est ce qu'évoque la chanson à la fin du film, qui dit "La vie, c'est maintenant". On tentait de mener une vie normale, mais on savait qu'il y avait cette menace perpétuelle qui pesait au-dessus de nos têtes. C'est cela qui produit un sentiment d'absurdité. »
- : « Comment avez-vous écrit le scénario ? »
H. B. : « Quand l'inspiration vous vient du ventre, pour ainsi dire, le scénario s'écrit tout seul : c'est le cas de celuici. Dès le départ, je savais que je voulais raconter l'histoire d'un homme perturbé, et celle qui m'est le plus proche, c'est ma propre histoire ! »

- : « Le fait que vous interprétiez votre propre personnage faisait-il partie du projet initial ? »
H. B. : « Ce n'était pas prévu au départ, et j'avais même trouvé un comédien pour le rôle. Mais mon cadreur m'a alors fait remarquer que si on allait au bout du dispositif de "fiction documentaire", c'était moi qui devais l'interpréter. En plus, on a tourné dans mon appartement et dans le quartier de Tel-Aviv où je vis. J'ai alors donné raison à mon cadreur… »
- : « Comment le concept de Distorsion a-t-il influencé la mise en scène ? »
H. B. : « Chaque image a donné lieu à cinq plans différents, qu'on visionnait en même temps au montage, comme pour évoquer le sentiment de quasi schizophrénie du film. J'ai également utilisé le "split-screen" qui permet d'observer plusieurs réactions du même personnage au même moment, et surtout de traduire en images l'instant où il bascule vers la folie. »
- : « La prostitution revient dans vos deux films. »
H. B. : « Dans Janem, Janem, la prostitution est montrée sous un aspect documentaire, alors que dans Distorsion, elle a une fonction métaphorique. Elle exprime en effet la mort de l'amour : il n'y a plus d'amour pur, mais seulement des amours tarifées et du sexe. Cela nous renvoie à l'aliénation dont souffre la société israélienne. »
- : « Les deux films adoptent une construction chorale, où l'on suit deux récits principaux qui s'enchevêtrent… »
H. B. : « On vit dans un monde où les événements se produisent de manière simultanée. Sous l'impulsion du téléphone portable ou de l'Internet, notre cerveau est de plus en plus habitué à appréhender diverses réalités en même temps. Je pense donc qu'il est plus facile aujourd'hui de raconter plusieurs intrigues parallèles dans un film - à condition d'avoir une narration principale et un dénouement. »
- : « Vous filmez un couple faisant l'amour devant un téléviseur retransmettant les conséquences terribles d'un attentat… »
H. B. : « Ce n'est pas du cynisme de ma part. Je voulais montrer que la vie est plus forte que tout et qu'il y a chez les gens une volonté de vivre, malgré toutes les horreurs qui, parfois, se déroulent à quelques centaines de mètres seulement. D'ailleurs, on a remarqué que pendant la période des attentats, le nombre de grossesses a fortement augmenté ! »
- : « La scène de la première de la pièce est d'une force et d'une émotion peu communes… »
H. B. : « On a tourné cette scène une vingtaine de fois, en variant chaque fois les angles de prises de vue, mais sans la moindre modification du monologue. Pour moi, cette scène exprime le moment où l'on insère la dernière pièce du puzzle pour comprendre le film dans sa globalité. L'ensemble des personnages se croisent et c'est aussi le moment où l'art rejoint la vie, où la fiction rejoint la réalité. »

- : « Parlez-moi de la musique. »
H. B. : « C'est le même compositeur, Shushan, qui a travaillé sur Janem, Janem, Distorsion et Côte à côte, le troisième volet de la trilogie. Mais son inspiration est à chaque fois très différente. Pour Distorsion, il a utilisé des rythmes africains que chantaient les vieilles femmes lorsqu'un de leurs proches était tué. Nelly Kafsky m'a présenté Stéphane Zidi qui a collaboré à la musique de Janem Janem et de Côte à côte. Ils s'entendent comme les deux doigts de la main. »
- : « Comment avez-vous dirigé les comédiens ? »
H. B. : « J'aime beaucoup la méthode de Cassavetes ou de Mike Leigh, et je laisse souvent les comédiens improviser, mais pas sur Distorsion. Pour autant, j'ai ménagé un certain nombre de surprises aux acteurs qui ne savaient pas toujours d'avance ce qui allait se passer… Par exemple, quand mon personnage demande à sa femme si elle veut qu'ils fassent un enfant immédiatement, ce n'était pas prévu, et je me suis servi de l'effet de surprise à l'image : la spontanéité même de la réaction de la comédienne ajoute encore à la dimension documentaire du film. »
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Fiche technique
Scénario original : Haïm Bouzaglo
Directeur de la photographie : Yoram Millo
Décorateur : Edna Noema
Costumière : Lisa Mamou
Son : Shuky Zuta, Gil Toren, Israel David et Yaniv Adrian Amoday
Montage : Yaniv Adrian Amoday
Musique originale : Shushan
Thème chanson “Life is now“ : Shushan
Producteur exécutif : Zehava Lahav-Shekel
Producteurs : H. B. Productions Haïm Bouzaglo, Yoram Millo et Mazel Productions Nelly Kafsky
en collaboration avec : Lisa Benchikh-Pellier