Ô Jérusalem

Ô Jérusalem drame de Elie Chouraqui

avec :
J.J. Feild, Saïd Taghmaoui, Daniel Lundh, Mel Raido, Patrick Bruel, Maria Papas, Peter Polycarpou, Ian Holm, Toyah Feldshuh, Elie Chouraqui, Shirel, Mhairi Steenbock, Cécile Cassel, Rafi Tabor, René Zagger, Jamie Harding et Daniel Benzenou
durée : 2h08
sortie le 18 octobre 2006
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Synopsis
27 Novembre 1947. Les représentants de cinquante-six des pays membres de la nouvelle Organisation des Nations Unies votent le partage de la Palestine.
Cette année-là à New York, deux amis âgés de 27 ans, Bobby Goldman, juif new-yorkais, et Saïd Chahïn, arabe de Jérusalem, vivent dans l’atmosphère insouciante de la fin de la deuxième Guerre Mondiale et partagent avec ferveur les mêmes idées et les mêmes valeurs.
Bouleversés par les évènements qui vont bientôt enflammer Jérusalem, Bobby et Saïd s'embarquent sur un navire à destination de la Terre Sainte.
Les deux amis ne réalisent pas encore que leur destin commun vient de prendre un tournant dramatique : frères devenus ennemis, ils vont des années durant se déchirer comme vont se déchirer leurs deux mondes, leurs deux peuples, leurs deux religions, leurs deux cultures…
C'est l'histoire de Ô Jérusalem, celle de la création de l’Etat d’Israël, l’histoire d’un conflit qui dure encore aujourd’hui…
« Si je t'oublie, Ô Jérusalem, que ma main droite m'oublie ! »

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Entretien avec Dominique Lapierre et Élie Chouraqui
- : « Dominique Lapierre, Ô Jérusalem, votre livre vendu dans le monde entier, est devenu une oeuvre de référence sur l’histoire de la création de l’Etat d’Israël. Qu’est-ce qui vous avait décidé à entreprendre le récit de cette fresque historique avec votre ami Larry Collins ? »
Dominique Lapierre : « Le sort de la Palestine en 1948 est une page essentielle de l’Histoire du monde contemporain. Au départ, il y a le choc émotionnel de notre découverte de Jérusalem, une ville unique au monde où l’on a vraiment l’impression d’être plus près du ciel, au plus près de Dieu, au plus près de la résurrection. Du haut du Mont des Oliviers, il y a en contrebas cette vision inoubliable de la vieille ville de Jérusalem où, depuis des millénaires, les cloches des églises sonnent à toute volée l’angélus, où les Muezzins des mosquées appellent à la prière, et où les complaintes des Schofars des synagogues annoncent le début du Shabbat. Que de sacrifices ont été imposés au nom de Dieu à cette ville au cours de sa longue histoire ! De là est venue l’idée de raconter l’influence spirituelle et le rôle stratégique de cette ville, et pourquoi et comment cet Etat d’Israël a vu le jour en 1948. Pourquoi et comment a commencé ce conflit entre les Juifs et les Arabes. Un conflit qui dure encore aujourd’hui. »
- : « Elie Chouraqui, quand avez-vous lu Ô Jérusalem ? »
Elie Chouraqui : « A 25 ans, quelques années après sa parution en 1971. Ce livre m’a bouleversé par son approche de la grande Histoire. Une approche humaine. Pour une fois dans ce type de récit, le récit historique, on vivait un conflit au plus près des personnages. Hommes, femmes - Juifs, Arabes, Chrétiens ou d’autres confessions, on était à leur place, dans leur tête, dans leur corps, dans leur coeur. Et puis il y avait Jérusalem. J’éprouve affection, fascination et crainte à l’égard de cette ville depuis qu’enfant, pour les fêtes de Pâques juives, mon grand-père puis mon père finissaient la prière en disant : "l’année prochaine à Jérusalem". Quel mystère pour un petit garçon que ce souhait chaque année répété ! Qu’était cette ville ? Pourquoi désirait-on autour de moi avec tant de ferveur vivre entre ces murailles ? Et puis j’ai découvert Jérusalem, ses odeurs, ses bruits, ses sons qu’évoquait Dominique, ces visages, ces langues mélangées, c’était au lendemain de la Guerre du Kippour, j’étais venu jeune assistant metteur en scène tourner un film sur la fin de la guerre. La censure nous interdisant de sortir la pellicule du territoire, j’ai dû rester à Jérusalem pendant dix jours en serrant mes bobines sous le bras. J’ai vécu là une expérience humaine exceptionnelle. Le fantasme, le rêve devenaient réalité, s’incarnaient dans ces pierres. »
- : « Plusieurs de vos livres ont été adaptés au cinéma, mais personne n’avait jamais réussi à porter à l’écran Ô Jérusalem ? »
D. L. : « Avec Larry, nous l’espérions passionnément depuis quarante ans. De nombreux réalisateurs se sont risqués dans une adaptation, mais le contexte politique en a découragé plus d’un. Dans mes archives, la rangée des divers scénarios élaborés autour de ce projet s’étale sur plus de trois mètres ! J’avais fait visiter Jérusalem à Costas-Gavras et à Georges Semprun pour leur faire percevoir de l’intérieur le caractère passionnant de cette histoire. Ils ont été emballés, puis au bout d’un an, Costa-Gavras a estimé qu’il ne pouvait pas faire un film impartial sur ce sujet. Le scénariste John Briley qui venait d’écrire Gandhi pour Richard Attenborough, le réalisateur William Friedkin et d’autres ont été tentés à leur tour, avant de se rétracter face à un sujet qui restait d’une actualité brûlante. Nous attendions Elie, et il a réussi à mener à bien ce projet. »
- : « Qu’est-ce qui vous a incité à relever ce défi ? »
E. C. : « Dans une vie d’homme, il y a des rencontres essentielles. J’ai envie de dire fondatrices. Il ne faut pas les manquer. Quand André Djaoui, qui possédait les droits du livre, m’a appelé après avoir vu Harrison’s Flowers, j’ai eu le sentiment immédiat qu’il était indispensable que Ô Jérusalem devienne un film. Et que pour mille raisons d’ordre intellectuel, humain, politique, il fallait que ce film soit fait tout de suite. "Ici et maintenant" ! J’étais déjà plongé dans la préparation d’un autre projet, j’ai tout arrêté. Je souffre, nous souffrons tous de ce conflit israélo-arabe qui, depuis des années, oppose deux peuples faits, créés pour vivre ensemble. Bien sûr le défi était de taille. Effectivement, le sujet est grave, dangereux. Mais il me semblait, et j’en suis maintenant persuadé, qu’en mettant en images et en expliquant les racines du mal, le pourquoi, le comment de ce conflit, on donnait un outil à ceux qui luttent pour la paix. »
- : « Le livre témoigne de ces heures troublées trempées de larmes et de sang qui accompagnèrent la création de l’Etat d’Israël et le sort de la Palestine. Il fourmille de mille histoires, de drames et de faits héroïques passionnants. Un sujet aussi vaste obligeait à condenser la narration. Comment avez-vous souhaité construire votre récit ? »
E. C. : « J’ai essayé de tirer de l’oeuvre et des événements leur substantifique moelle. En fait, et c’est ce qui m’avait aussi touché dans le livre, tous les récits recueillis par Dominique et Larry, violents ou émotionnels tendent vers une même question : Pourquoi ? Je voulais comprendre, expliquer ce pourquoi. J’ai choisi de symboliser ces deux peuples, les Juifs et les Arabes, à travers deux hommes.
Bobby Goldman, un jeune New-Yorkais, Juif ashkénaze qui en tant que militaire avec les troupes alliées est entré en 1944 parmi les premiers dans les Camps de concentration nazis. Il subit, en découvrant ces morts et ces ”fantômes” rescapés de l’horreur un traumatisme terrible, symbole du traumatisme qui touche alors toutes les nations du monde, mélange de culpabilité et d’angoisse. Après la guerre, à New York, il va rencontrer Saïd Chahin, un jeune Arabe de Jérusalem, neveu d’Abdel Kader el-Husseini, un grand chef palestinien. Saïd fait des études de droit. Leur amitié est immédiate, “naturelle” puisqu’ils sont Arabe et Juif... Ils vont devenir inséparables. Les événements vont les transformer en ennemis. Leur amitié s’était soudée à New York dans l’atmosphère d’insouciance de la fin de la deuxième Guerre Mondiale. En Palestine, rattrapés par la situation au Moyen-Orient, ils vont se retrouver face à face. Bobby et Saïd sont les porte-paroles de ces deux peuples qui s’affrontent. Amis-ennemis. J’ai nourri leurs personnages des témoignages recueillis par Dominique et Larry. »

- : « Ô Jérusalem, le titre du livre et du film, fait référence à trois évocations - juive, musulmane et chrétienne - rendant hommage à la Ville Sainte. Pourquoi ce petit bout de terre cristallise-t-il autant les haines et les passions ? »
D. L. : « Quel autre lieu au monde réunit autant de sites historiques et religieux ? Pour les Chrétiens, le Saint Sépulcre symbolise le Golgotha où Jésus est mort sur la croix. Pour les Juifs, Le Mur des Lamentations, seul vestige de l’Ancien Temple d’Hérode, est le lieu le plus saint du judaïsme. Pour les Musulmans, Jérusalem est la troisième ville de l’Islam. Le prophète Mahomet s’est envolé de l’esplanade du Haram vers le ciel sur sa jument blanche. En plus, tous les sites sont voisins de quelques centaines de mètres. Il y a dans ce lieu un incroyable mélange de foi, d’amour, de passion, de violence. »
E. C. : « "Si Dieu n’est pas ici, il n’est nulle part", dit Saïd à Bobby en regardant la ville. »
D. L. : « Nous sommes sur un terrain historique chargé d’une dimension divine. Moi qui suis un enfant de la guerre, en 1942 vous m’auriez demandé si l’Allemagne et la France parviendraient à se réconcilier après les fleuves de sang qui avaient coulé entre les deux pays, j’aurais dit, "jamais !". Et pourtant… La France et l’Allemagne ont réussi à fraterniser, car aucune instance divine n’avait promis l’Alsace et la Lorraine à l’une ou l’autre de ces nations. Mais là, nous sommes en présence de deux peuples qui croient avoir reçu cette terre des mains de Dieu. Nous sommes dans cette dimension religieuse historique. Cette dimension divine complique absolument tout, et rend peut-être ce confit impossible à résoudre. »
- : « "On a attendu 2000 ans pour cette terre", dit Jacob à Saïd qui lui répond, "les Arabes habitent cette terre depuis 2OOO ans". »
D. L. : « Cette guerre est l’affrontement de deux légitimités. Les premières scènes du film qui évoquent le partage de ce pays permettent au spectateur de comprendre pourquoi, en coupant cette terre de Palestine en deux, on a mis le feu à un conflit qui dure depuis maintenant cinquante ans. David Ben Gourion nous avait montré un de ses carnets où il avait noté en date du 14 mai 1948, le jour de la proclamation de l’Etat d’Israël, "malgré l’intensité de ce moment de triomphe, il n’y a aucune joie dans mon coeur ce soir. Je ne peux penser qu’à une chose, à la guerre que nous allons devoir livrer". Le livre, et maintenant les formidables images du film, expliquent pourquoi des gens qui se côtoyaient avec souvent beaucoup d’amitié et de sympathie dans cette ville de Jérusalem, vont devoir s’affronter. Il y avait déjà eu des soulèvements, mais les Arabes et les Juifs s’entendaient très bien. Nous avions rencontré quantité de familles Arabes qui allumaient les lumières du Shabbat chez leurs voisins Juifs, et de Juifs qui participaient aux fêtes Arabes. Tout allait bien, et tout d’un coup… »
E. C. : « On partage une terre, pourquoi pas après tout. On crée deux pays qui n’existaient pas. N’oublions pas qu’après une dictature Turque qui a duré quatre siècles, les Anglais sont seuls maîtres en Palestine depuis plus de trente ans. Les Juifs voulaient cette terre, elle leur était due. Ils viennent de perdre six millions des leurs dans les camps de concentration. Ils ont été pourchassés dans toute l’Europe pendant quatre ans. Ils savent que la création d’un état fort est la seule garantie pour eux de ne plus revivre ce qu’ils ont vécu. Pour eux, Israël est leur terre promise. C’est le raisonnement de Bobby, il va lutter pour cette légitimité. Mais en face, il y a une autre légitimité, celle de son ami Saïd… Celles des Arabes qui pensent à juste titre, "cette terre est la nôtre, on y vit, on y a nos familles, nos maisons… Pourquoi devrait-on partir ?" … »
D. L. : « D’autant que les Arabes disaient, "nous ne sommes pas responsables de la Shoah, on n’a rien à voir avec ces crimes." »
E. C. : « … Et le conflit débute. Les tensions s’exacerbent. Tout aurait sans doute pu se faire d’une autre façon. Des erreurs tragiques ont été commises. La situation eût été différente si les frontières n’avaient pas été tracées à la diable, si on s’était préoccupé un peu plus des populations qui vivaient là. Il aurait fallu entreprendre un long travail pédagogique, diplomatique, déterminer un tracé des frontières en prenant le temps d’organiser des rencontres entre des responsables Juifs et Arabes. Mais les nations du monde au sortir de la guerre ont d’autres chats à fouetter. Ils laissent ces deux peuples face à face, sans médiateurs, parfois désemparés comme Bobby et Saïd le sont à l’aube de cet affrontement. Ce partage s’est fait à la Ponce Pilate, on trace des frontières à grands traits, on vote, et on se lave les mains ! Et évidemment, comme toujours dans les conflits, les extrêmes prennent le dessus, excitent les populations qui jusque- là vivaient en paix, et c’est la guerre. »

- : « Vous montrez le rôle ambigu des Britanniques après trente ans de mandat. »
E. C. : « Golda Meir a dit, "l’Angleterre portera longtemps la responsabilité de ce qui se passe et de ce qui va se passer". Les Anglais avaient des intérêts économiques dans la région, historiquement ils étaient pro- Arabes, ils pensaient, "de toute manière, malgré la décision de l’ONU, dans six mois, les Juifs vont êtres jetés à la mer !". »
D. L. : « Avec l’ardeur messianique d’un prophète, Ben Gourion a dit, "nous n’aurons jamais la possibilité d’accueillir les Juifs du monde si nous ne créons pas un Etat". Il s’est opposé à toutes les puissances occidentales. Au moment du partage, le Président Truman était absolument contre, mais Ben Gourion, inflexible, a proclamé l’Etat d’Israël. Cette proclamation allait immédiatement mettre le feu aux poudres. Il y a une scène très forte dans le film, que nous racontons aussi dans le livre, où Golda Meir, déguisée en femme arabe part en pleine nuit rencontrer le Roi Abdallâh de Transjordanie pour le supplier d’éviter que les états Arabes entrent en guerre contre Israël. »
E. C. : « Ben Gourion s’est opposé à tout son état-major quand il a décidé de se battre malgré le fait que les forces en présence étaient totalement disproportionnées. Il n’y avait pas d’armement du côté des Juifs, et à peine quelques milliers d’hommes capables de tenir un fusil. Côté Arabe, au départ, il s’agissait de petites troupes irrégulières qui attaquaient une voiture ou un convoi de ravitaillement. Ensuite, les Nations Arabes - l’Irak, l’Egypte, le Liban, la Syrie, la Jordanie - sont entrées dans le conflit. Chacune était animée par des intérêts différents, soit pour avoir une ouverture sur la Méditerranée, soit par crainte de voir un état totalement déconnecté du monde arabo-musulman s’installer au coeur de leur univers. Aucune de ces nations ne tenait à défendre particulièrement l’intérêt des Arabes de Palestine. Les Juifs eux, qui avaient été écrasés, détruits, traités comme des rats par les nazis pendant des années, se sont battus d’une façon remarquable. N’ayant pas d’autre choix, d’autre terre où aller, ils étaient dans l’obligation de gagner. »
D. L. : « Et surtout, ils se sont armés grâce à des génies dont nous avions retrouvé la trace, comme Ehud Avriel qui est allé clandestinement à Prague acheter 350 mitrailleuses et des cartouches avec l’argent récolté en Amérique par Golda Meir. Si les Pays Arabes avaient su se regrouper en une armée unique derrière un seul dirigeant, les Juifs n’auraient jamais pu résister. »
- : « L’action du film se concentre sur un enjeu capital, le contrôle de la route qui mène à la Ville Sainte. »
D. L. : « La survie des 100 000 Juifs qui vivent à Jérusalem en dépend. Aux yeux d’un homme comme Ben Gourion, ces hommes et ces femmes représentent une valeur particulière. Il faut absolument les sauver. S’ils sont écrasés par les guérilleros Arabes, c’en est fini du peuple Juif. »
E. C. : « Sur cette route, la seule qui relie Jérusalem au reste de la Palestine, les "convois de camions sandwichs" (on les appelait ainsi car ils avaient été renforcés par des plaques de taule) devaient traverser des villages Arabes et ils étaient régulièrement attaqués. Ben Gourion a compris que sans Jérusalem, le coeur de l’âme Juive, il n’y aurait pas d’Etat Hébreu. D’où son obsession d’assurer le ravitaillement de cette ville pour que les Juifs continuent à vivre et à se défendre. »
- : « L’ouverture de la route de Jérusalem dépend de la conquête par les soldats de la Haganah du bastion de Castel occupé par les Arabes. Vous mettez en scène la violence de ces combats. »
E. C. : « Ces scènes se devaient de figurer dans le film. De tout temps, Castel et Latroun ont été des bastions stratégiques, le Sultan Saladin, le Roi Salomon ou Napoléon l’avaient compris. Ces places fortes ont été prises et reprises mille fois du côté Arabe comme du côté Juif. »
D. L. : « On revient toujours à cette référence divine, Castel et Latroun sont situés dans la vallée d’Ayalon, là où Josué a arrêté la marche du Soleil. Chaque centimètre carré de cette terre est lié à une histoire fantastique. »
- : « En plus de sa dimension spectaculaire, le film privilégie des moments poignants. Par exemple, l’émotion de Bobby lorsqu’il trouve un Coran dans la poche d’Abdel Kader el- Husseini, le chef des combattants arabes tué au combat. »
D. L. : « L’histoire est authentique. Au cours de notre enquête effectuée sur plusieurs années avant l’écriture du livre, nous avions retrouvé au Caire la veuve d’Abdel Kader el-Husseini. C’est elle qui avait placé ce petit Coran dans la poche de la chemise de son mari en lui disant, "il te protégera, ce sera ton talisman". Dans le film, comme dans le livre, tous les détails sont rigoureusement exacts. »
E. C. : « Il est assez rare pour un cinéaste de pouvoir disposer d’une telle matière. Au moindre doute sur un moment historique, une date, une situation, je pouvais retourner au livre. Dominique et Larry, pris par leurs activités, n’ont pas pu être associés à l’écriture, mais je les consultais à chaque étape du scénario. L’idée de ce petit Coran, et il y en a d’autres, illustre le rapport affectif entre ces deux peuples. Je me souviens de cette phrase extraordinaire de Golda Meir, "on pourra peut-être un jour pardonner aux Arabes d’avoir tué nos enfants. Pourra-t-on leur pardonner de nous avoir obligé à tuer les leurs". Ces gens, chacun derrière un fusil, savent malgré tout qu’ils ont les mêmes racines, le même Dieu, les mêmes prophètes, le même Livre Sacré et la même vision du monde.
Bobby Goldman est bouleversé quand il découvre ce Coran sur le corps d’Abdel Kader qu’il vient d’abattre. A ce moment-là Saïd, son neveu, le surprend. Dans n’importe quelle guerre, Saïd aurait tiré sur cet ennemi qui a tué son oncle. Or Saïd regarde Bobby, ce Juif qui fut son ami, et lui dit, "va-t-en, sauve-toi". Il y a en permanence cette humanité, et cette tension entre l’affectif et la haine. Plus tard, Bobby confie à sa fiancée, "c’est terrible, ça n’arrêtera jamais. Un Juif tue un Arabe, un Arabe tuera un Juif… Il y aura toujours plus de sang, plus de haine". Elle lui répond, "non, tout s’arrêtera. Car le jour vient toujours après la nuit". Puis elle lui avoue ce qu’elle a subi dans les camps de concentration. Et là, je rejoins ce que disait Dominique à propos de la réconciliation entre la France et l’Allemagne. Qui aurait imaginé un Premier Ministre Allemand en visite à Tel-Aviv pour rencontrer le Premier Ministre Israélien ? Entre ces deux peuples, Arabe et Juif, ceux de bonne volonté, ceux qui refusent la spirale infinie de la haine, il y a toujours ce sentiment qu’un jour les choses peuvent s’arranger, même si le quotidien est fait d’angoisse et d’affrontements. Mes parents sont nés en Algérie, je me suis toujours senti bien avec les Arabes. Lors de mes nombreux séjours dans les pays Arabes, j’étais chaque fois heureux de m’asseoir à une table pour boire le thé et parler. »

- : « Le film se devait de faire comprendre la complexité de ce conflit, en respectant la douleur endurée dans chaque camp. »
D. L. : « L’objectivité du livre dont s’inspire ce film tient aussi au fait qu’il soit écrit par deux Chrétiens. »
E. C. : « Le parti pris du film, c’est l’impartialité. Et c’était le parti le plus difficile à prendre. Impossible à prendre, diront certains. Mais c’est le parti auquel je me suis attaché jour après jour, plan après plan. La moindre dérive aurait trahi les événements historiques et les personnages qui les ont vécus, ainsi que le travail de Dominique et de Larry. Mais comment être impartial ? En restant fidèle à la réalité des faits historiques. Qu’une poignée de Juifs se soit battue contre cinq Nations Arabes est un fait historique. Comment montrer la douleur de ces deux peuples ? Simplement au travers des hommes qui ont vécu cette histoire. En suivant au plus près Bobby et Saïd. La description de la désespérance de ces deux hommes et de ces deux parties s’est inscrite naturellement sous ma plume, puis dans mon travail avec la caméra. Je n’ai pas mesuré la longueur des plans pour contrôler si elle était identique pour chaque camp. Mais quand au moment du Partage, je montre à la fois le bonheur des Juifs et la douleur des Arabes, j’ai l’impression d’être logique dans ma démarche. Je ne crois pas prendre parti pour l’un ou pour l’autre. »
- : « Avez-vous hésité à évoquer le massacre du village arabe de Deir Yassin le 9 avril 1948 par des extrémistes juifs ? »
E. C. : « Il était impossible de ne pas évoquer cette erreur tragique que les extrémistes juifs ont fait payer cher à leur peuple. Non seulement ils ont été blâmés par les leurs, mais ils ont donné une arme de plus aux extrémistes Arabes. De même, je ne pouvais pas faire ce film sans montrer aussi que les Arabes étaient en surnombre et que les Juifs se battaient de jour comme de nuit sur cinquante fronts à la fois. »
D. L. : « Ben Gourion et Golda Meir ont eu le courage de dire que Deir Yassin souillerait pour longtemps la conscience du futur Etat d’Israël. Lors de notre rencontre à Tel-Aviv, Menachem Begin, alors Premier Ministre d’Israël, nous avait adjurés de ne faire aucune allusion à Deir Yassin et de retirer ce passage où, avec Larry, nous avons décrit les atrocités commises sur les femmes et les enfants de ce village. Begin avait ajouté, "vous nous avez fait énormément de mal en racontant cela". Je lui avais répondu, "un livre ou un film qui aurait escamoté ce tragique épisode aurait perdu d’avance toute crédibilité".
E. C. : « Ce massacre a eu lieu, et c’est à la gloire des Juifs de pouvoir dire, "voilà l’erreur que nous avons faite". Comme il est à la gloire des Arabes de pouvoir dire, "voilà où nous ont poussé nos extrémistes, et voilà maintenant comment on peut redresser la situation". »
D. L. : « Il faut savoir que les assassins de Deïr Yasin ont été excommuniés par le Grand Rabbin de Jérusalem, ça n’était encore jamais arrivé ! Pour les Palestiniens, ce massacre de Deïr Yassin a eu des conséquences absolument tragiques. Nous avons retrouvé les bandes sonores des radios du Caire, de Beyrouth et d’ailleurs qui diffusaient ce message, "ce qui est arrivé à Deïr Yassin va se passer dans toute la Palestine, partez, quittez vos maisons. Dans trois semaines, les armées Arabes victorieuses vous auront ramenés chez vous". Un million de Palestiniens se sont retrouvés sur les routes, et cela a créé le problème des réfugiés. »
E. C. : « L’impartialité que j’ai essayé d’avoir ne signifie pas que j’ai choisi la tiédeur. Au contraire, l’impartialité est, je le répète, le parti pris le plus courageux et le plus difficile. C’est un parti fort. Les Juifs et les Arabes ont chacun leurs torts et leurs raisons. Au risque d’être critiqué par les deux communautés, j’ai voulu me mettre au milieu pour dire, "regardez-vous face à face. Vous les Juifs et vous les Arabes, voyez comment les choses se sont passées". »

- : « Comme le livre, le film est captivant et instructif. Quels étaient vos choix de mise en scène ? »
E. C. : « J’ai privilégié autant les personnages que l’action. Je le répète, je voulais avoir la même approche que les auteurs du livre qui nous font pénétrer à l’intérieur des cerveaux des personnages qu’ils ont interviewés. Le tournage était extrêmement physique. J’ai passé des journées épuisantes, caméra à l’épaule, à escalader la colline de Castel. Pour suivre au plus près l’action de ces hommes et de ces femmes engagés dans le feu du combat, il n’était pas question de mettre la caméra sur pied. Par contre, pour la séquence où Golda Meir rencontre le Roi Abdallâh, je n’allais pas m’amuser à faire des mouvements de caméra à la main. J’ai essayé d’installer un certain confort dans l’image puisque la conversation était paisible entre des gens intelligents qui se respectaient. Je n’ai pas un principe de mise en scène pour l’ensemble du film. La mise en scène est le révélateur des idées, et son rôle est de faire apparaître et ressentir une vérité. »
D. L. : « Elie Chouraqui restitue de façon poignante les moments historiques de cette guerre. La réunion de la Ligue Arabe à Damas, formidablement reconstituée dans le film, est absolument essentielle pour montrer que ce monde Arabe n’est pas du tout un monde monolithique. Ce qui explique aussi la défaite des Arabes contre les Juifs. »
E. C. : « La mosaïque est un art Arabe. Et le monde Arabe est une mosaïque. Toutes sortes de fractions et une multiplicité tribale sont aux ordres de nombreux leaders à l’intérieur même de ces grands états. Souvenezvous de la Guerre du Liban ! C’est très important de comprendre ce phénomène inconcevable pour nous Occidentaux, car c’est l’un des problèmes de la résolution de ce conflit, parfois on ne sait plus avec qui parler. Regardez aujourd’hui ce qui se passe malheureusement en Palestine, on est à deux doigts d’une guerre civile. »
D. L. : « Outre les combats pour la possession du village stratégique de Castel, on assiste à la furieuse bataille entre les soldats de la Haganah et les bédouins de la Légion Arabe du roi Abdallâh autour du monastère trappiste de Latroun. Il y a une anecdote amusante qui aurait pu changer l’issue de la bataille. Ces corps à corps se déroulaient juste au-dessus d’un labyrinthe de caves que les moines nous avaient fait visiter. A la date du 15 mai 1948, les chais du monastère de Latroun contenaient 78000 litres de Pommard et de Chablis, 26000 litres de Cognac… Si jamais les combattants avaient découvert ce trésor, ils auraient pu se réconcilier dans une ivresse collective, et tomber dans les bras les uns des autres ! »
- : « La scène de la visite du Haut Commissaire britannique Sir Allan Cunningham au rabbin Weingarten, pour lui remettre les clés de la Vieille Ville, est particulièrement émouvante. »
E. C. : « Le regard de ce vieil homme quand il reçoit cette clé symbolique est bouleversant car il comprend que son peuple revient sur les lieux où Dieu l’avait amené quelques milliers d’années plus tôt, conduit par Moïse. Encore une fois, la présence de la religion fait toute la beauté et la grandeur de cette ville, et à la fois son drame. »
D. L. : « C’est formidable parce que Sir Allan Cunningham remet au rabbin la clé de la Porte du Mont Sion. Et Sion, c’est le sionisme, l’inspirateur à travers la diaspora du retour des Juifs en Palestine. »
E. C. : « D’ailleurs, quand Ben Gourion et les membres de son entourage ont eu à choisir un nom pour le nouvel Etat, ils ont longtemps hésité entre Sion et Israël. »
- : « Où avez-vous tourné, et quelles ont été les difficultés majeures d’une telle reconstitution ? »
E. C. : « Tout le film et sa mise en place a été sous le sceau de l’adversité ! Mais toutes les difficultés rencontrées ont finalement transmis une force au film. Il était impossible de tourner à Jérusalem, en Israël ou dans un pays Arabe, pour les raisons de sécurité que l’on peut imaginer. Malgré des contacts et des soutiens au plus haut niveau, aucune compagnie d’assurance ne voulait nous suivre. J’avais pourtant fait des repérages sur les lieux mêmes de l’action et rencontré de nombreux témoins, comme ce prêtre qui avait assisté à la bataille de Latroun par exemple. Je ne savais plus quoi faire lorsqu’un décorateur israélien, un septuagénaire qui a vécu ce conflit, m’a conseillé de tourner à Rhodes. La vieille ville a été construite sur le principe de celle de Jérusalem, on appelle d’ailleurs la ville de Rhodes, la Petite Jérusalem. L’île de Rhodes ressemble à la Palestine de l’époque, tout est resté intact. On a reconstitué Jérusalem telle qu’elle était en 1948. »
D. L. : « La représentation de Jérusalem était mon grand souci, mais la vision du film m’a rassuré car, grâce à la grande technicité des trucages, toutes les reconstitutions sont d’une fidélité exceptionnelle. Il n’y a pas un lieu dans ce film où je peux dire, ce n’est pas comme cela en vérité. J’ai été également impressionné par les scènes où apparaissent les personnages historiques de ce conflit, Ben Gourion, Golda Meir, ou encore Abdel Kader el-Husseini, véritable légende de la cause palestinienne. »
E. C. : « Quand j’ai rencontré pour la première fois Ian Holm et Tovah Feldshuh pour les rôles de Ben Gourion et Golda Meir, je me suis dit : "mon Dieu pourvu qu’ils acceptent !". Il m’a semblé soudain évident qu’avec leur talent, leur présence et leur charisme, ils incarneraient parfaitement ces figures illustres. J’ai mis plus d’un an pour faire le casting de ce film en allant rencontrer des acteurs à Los Angeles, à New York, San Francisco, Jérusalem, Tel Aviv, au Maroc ou en France. L’acteur qui interprète le souverain de Jordanie avait croisé le Roi Abdallâh quand il était enfant. Peter Polycarpou, le comédien grec qui interprète Abdel Kader el-Husseini a une réelle ressemblance avec son personnage. Plutôt que de miser sur une star confirmée, j’ai préféré confier le rôle de Bobby Goldman à JJ Feild, un jeune acteur dont, je pense, on parlera beaucoup dans les années à venir, qui apportait plus de crédibilité à son personnage. J’ai toujours trouvé le travail de Saïd Taghmaoui absolument extraordinaire. Sa tendresse désespérée lui donne une force, avec un côté dur et bouleversant à la fois. En écrivant le personnage de David Levin, qui est en fait un mélange d’Isaac Rabin et de plusieurs jeunes leaders de cette époque, j’ai tout de suite pensé à Patrick Bruel pour son autorité et sa puissance de jeu. Je tenais à ce que tous les accents de la diaspora des Juifs venus en Israël soient présents dans le film. De même, pour les Arabes, je me suis attaché à ce qu’ils parlent avec des accents égyptien, irakien, jordanien… Et ce, toujours pour respecter la véracité du propos. »
- : « Selon quels critères avez-vous choisi les documents d’époque en noir et blanc qui s’insèrent dans le récit de l’action en couleur ? »
E. C. : « Encore une fois, guidé par un souci de vérité. Dans la séquence où Ben Gourion proclame l’Etat d’Israël, on voit défiler sur des documents d’époque les armées Jordaniennes et Irakiennes. Un traitement d’images a été effectué où j’ai retravaillé le noir et blanc et la couleur pour que ces documents soient incorporés au récit de la fiction en lui laissant toute sa fluidité. J’ai agi de même pour certaines scènes du départ des Britanniques. »
- : « Le livre se termine sur l’invocation du psaume de David, "Appelez la paix sur Jérusalem. Que la paix règne dans ses remparts. Et la Postérité dans ses palais". »
D. L. : « La plus belle phrase que l’on puisse imaginer pour cette ville de Jérusalem, pour ce pays, pour ce peuple. Et puis, c’est une phrase historique. Ce film apporte une contribution positive, sans être partiale, sans parti pris. Qu’Elie soit béni pour avoir oeuvré pour la paix ! »
E. C. : « La scène de réconciliation finale pendant le cessez le feu a réellement eu lieu. Les Arabes ont nourri les Juifs et les ont soignés. Il y a eu ce moment de rémission, il suffirait d’une petite lueur d’espoir pour que ces deux peuples aillent à nouveau les uns vers les autres. Peu d’hommes, peu de nations mettent fondamentalement toute leur énergie pour que cette paix puisse exister. Je le dis une fois encore, les frontières ont peu d’importance. Je ne parle pas de Nation, je parle du point de vue spirituel, Jérusalem, capitale du monothéisme, doit laisser à tous le champ libre pour aller du Mur des Lamentations à la Place des Mosquées et au Chemin de Croix. »
- : « Après avoir lu l’édition en hébreu de Paris brûle-t-il, Golda Meir vous avait complimenté, Dominique Lapierre, en vous disant : "c’est comme ça qu’il faut écrire l’histoire". Que diriez-vous à Elie après avoir vu son film ? »
D. L. : « C’est comme cela qu’il faut filmer les grands moments de l’Histoire contemporaine. Aujourd’hui où l’on vit dans le monde de l’audiovisuel, nos enfants pourront apprendre l’Histoire en voyant ce type de film. Des amis américains m’ont téléphoné après une projection du film à New York pour me dire, "il faut que toutes les mamas juives d’Amérique emmènent leurs enfants voir ce film. Ici, nous sommes tellement conditionnés par des images télévisées totalement orientées par des médias juifs, nous ne comprenons pas pourquoi ces kamikazes vont faire sauter des bombes dans les cafés d’Israël. Nous n’avons jamais vu l’image d’un camp de réfugiés. Nous ne savons pas tout cela". Ils étaient émerveillés par le message et la façon dont ce film redresse la vérité historique. »
E. C. : « Grâce à la fiction, on comprend mieux l’Histoire d’hier et d’aujourd’hui. Mieux en tout cas qu’en voyant à la télévision un bulletin d’information brute. »
D. L. : « Je pense que ce film éveillera un grand intérêt en Israël, pour les Israéliens eux-mêmes. Ils ne comprennent pas à quel point se créent des conditions de haine parmi tous ces gens qui vivent depuis tant d’années dans des camps de réfugiés, et ces gens n’ont plus rien à perdre. »
E. C. : « Je tenais à ce que le psaume de David apparaisse à la fin du film. Ce film a aussi été fait pour dire aux hommes : "appelez à la paix pour Jérusalem". »
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Fiche technique
Scénario : Elie Chouraqui et Didier Lepêcheur,
d’après l’oeuvre de Dominique Lapierre et Larry Collins (Ed. Robert Laffont)
Réalisation : Elie Chouraqui
Image : Giovanni Fiore Coltellacci
Son : Guillaume Sciama
Décors : Giantito Burchiellaro
Costumes : Mimi Lempicka
Musique : Stephen Endelman
Maquillage / Coiffure : Gianetto de Rossi, Mirella de Rossi
1er assistant mise en scène : Michael Viger
Montage image : Jacque Witta assisté de Franck Nakache
Montage son : Mark Auguste
Mixage : Tim Cavagin
Producteur exécutif : David Korda
Direction de post-production : Maria Walker
Producteurs associés : Caroline Dhainaut-Nollet, Anouk Nora, Laure-Anne Rossignol,
Patrick Irwin, Nicolas Manuel
Coproducteurs : David Korda, Jeff Geoffray, Walter Josten, Jeff Konvitz,
Mark Damon et Marcus Schöfer
Producteurs : André Djaoui, Elie Chouraqui, Jean-Charles Lévy, Jean Frydman et
Andy Grosch
Coproduction : Les Films De L’instant, Cinegram, Films 18, Titania Produzioni, Gg Studios et France 2 Cinéma, en association avec : Forecast Pictures, Vip Medienfonds 3+4, Rising Star, Box Films et Blue Rider.
Avec la participation de : Canal +.
Distribution : Haut Et Court.
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présentation réalisée avec l’aimable autorisation de
remerciements à Carolyn Martin-Occelli et Marion Tharaud
logos, textes & photos © www.hautetcourt.com