• Ca brûle

Publié le par 67-ciné.gi-2006













Ca brûle drame de Claire Simon







avec :
Camille Varenne, Gilbert Melki, Kader Mohamed, Marion Maintenay, Morgane Moré, Jean-Quentin Chatelain, Olivia Willaumez, Nabil Radi, Mathieu Bagnis et les pompiers de la caserne de Jouques

durée : 1h51
sortie le 16 août 2006



au cinéma


à partir du mercredi 16 août 2006

***

Synopsis
24 juin, c’est bientôt les vacances et c’est déjà l’été. Les adolescents d’un village du sud de la France, en quête de sensualité, s’essaient au désir.
Plus solitaire, Livia, une jeune cavalière de 15 ans préfère être transportée, emportée, consolée par son cheval. Mais lorsque le pompier Jean Susini la relève d’une mauvaise chute, elle en tombe amoureuse.
Au fil des heures, l’adolescente se met alors à poursuivre de sa passion brûlante cet homme plus âgé. Son désir la dévore, lui fait gravir une à une les marches de l’exaltation, la consume, jusqu’à l’irréparable…


***

Les mots clés de Claire Simon
Sirène
Claire Simon : « Les sirènes préviennent les hommes du danger. Les sirènes hurlent, appèlent. Il faut y aller! Dans les temps anciens de la Méditerranée, les sirènes avaient les cheveux longs, et leur chant entraînait les hommes à leur perte. »

Ça brûle
C. S. : « C’est le titre. Les histoires de feu m’ont toujours fascinée. J’ai été élevée dans le Var. Le feu y est une menace, autant actuelle qu’archaïque. L’été 2003 a été particulièrement brûlant. Chaque grand feu donne lieu à toutes sortes d’histoires, vraies ou fabulées : les pyromanes, les incendiaires, les accidents. Il y a eu une rumeur sur des enfants qui avaient mis le feu, puis sur une jeune fille amoureuse. Habituellement on raconte que ceux qui mettent le feu sont ceux qui veulent être pompier, ou qui le sont, ou qui veulent se venger. Il y a aussi les pyromanes, mais ils se font arrêter tout de suite comme de pauvres pervers.
L’idée qu’une jeune fille mette le feu m’a bouleversée, peut-être parce que j’avais imaginé une histoire comme cela quand j’avais 20 ans. J’imaginais une révolte, une fureur solitaire, une passion amoureuse. Une espèce de terrorisme à usage individuel, la catastrophe comme mode d’expression. J’ai pensé qu’il était important de raconter comment une jeune fille peut être le théâtre d’une bataille sanglante entre son désir et le monde.
»

L’acte
C. S. : « L’histoire, c’est celle d’un acte. Comment raconter un acte ? C’est une question qui m’importe en général et en particulier au cinéma.
Même si l’acte peut sembler nécessaire, son mystère essentiel est qu’il aurait pu ne pas avoir lieu. Je suis partie d’éléments de ces rumeurs, de ces bouts d’histoires entendues à propos des feux, qui sont devenus comme des mots clés pour écrire. Mais avant tout j’ai choisi de raconter le jour de cet acte, un point c’est tout. Les heures creuses et les heures hautes qui mènent vers cet acte, sans l’annoncer, sans le justifier, mais en décrivant le temps qui le précède. Un peu comme cette mémoire fantôme de certains magnétophones dernier cri qui enregistre en permanence la demie heure qui précède le moment où l’on appuie sur la touche "record".
»

En colère
C. S. : « Livia est une fille en colère. On peut trouver toutes les raisons de sa colère. Mais la colère est là, d’abord. Elle a 15 ans. C’est comme ça. L’ennemi est à l’intérieur d’elle-même. Le monde est nul mais elle aussi, et ça, ça l’énerve. Il faut que ça change.
Ses parents ont imaginé un monde invivable, qu’importe. Ils ont leurs raisons, ils sont séparés. Sa mère est anglaise, maintenant elle aime une femme. Son père triche sur tout, mais il est marrant. Livia ne veut pas s’occuper de tout ça. Heureusement qu’il y a E.T. son cheval.
»

Cheval
C. S. : « Se promener à cheval permet à Livia de dominer, de voir par-delà les clôtures la vie des autres, les maisons en construction, les familles. Les sabots d’E.T. résonnent dans les ruelles étroites du village, ça exaspère tout le monde, les jeunes en scooter la poursuivent, la provoquent, la chassent et l’admirent.
Depuis longtemps j’étais fascinée par le fait que le cheval était une étape importante dans la vie sexuelle d’une jeune fille. Ça m’a toujours fait rire de penser que le chemin de certaines jeunes filles vers les hommes passe par les chevaux. D’ailleurs, les chiffres le prouvent car les adhérents de la Fédération Française d’Equitation qui ont moins de seize ans sont à 95 % des filles.
Le cheval donne la puissance, et demande soin et amour. Fière d’être reconnue, aimée par son cheval, le dressant, le dominant, la jeune fille se fait transporter, emporter, consoler.
»

Livia / Camille Varenne
C. S. : « Quand j’ai rencontré Camille, élève à l’école du cirque, ce qui d’emblée m’a frappée c’est qu’elle était extrêmement timide, et courageuse. Donc chaque fois qu’elle réussissait à faire quelque chose, cela devenait très vrai. Il se passait la même chose quand elle montait à cheval. Camille est bonne cavalière mais pas encore parfaite, elle travaille, affronte ses peurs. Je voulais filmer une relation de cet ordre: incertaine et volontaire, entre la jeune fille et le cheval. Ainsi, nous avons pu tourner sans aucun artifice, lui faire confiance et la laisser maîtriser le danger.
Camille a quelque chose de très enfantin, de timide, elle oublie son corps, ses mains, et ça lui donne beaucoup de grâce. Elle est têtue, perfectionniste, concentrée.
C’était sa première expérience d’actrice, donc un grand défi car, comme le personnage, elle n’était pas facile d’accès, ce n’est pas une Lolita, une charmante jeune fille qui se vend, c’est une fille complexe avec une histoire personnelle très forte. Le pari était de pouvoir restituer à l’écran ce qu’elle avait en elle. Peu à peu elle est devenue pour moi, comme le vecteur du film. Plus le film avançait vers le feu et la tourmente finale, plus elle ressemblait à une héroïne du cinéma muet, comme si ressurgissait en elle une figure archaïque de la vierge noire.
»

Village/Étranger
C. S. : « Pour construire le scénario, j’ai beaucoup arpenté un village et ses alentours parce que j’étais persuadée que la topographie déterminerait continuellement l’action dramatique.
Le village, sa banlieue, la forêt, le ciel. Et comme dans les westerns, le sentiment que le reste du monde, s’il existe, est vraiment loin. Cette idée géographique m’importait beaucoup. Livia met le feu à un pays où elle ne se sent pas vraiment acceptée, c’est en filigrane, mais c’est là. Elle brûle ce qu’elle aime : le pompier, cette terre qui n’est pas la sienne. J’aime cette ambivalence vis-à-vis de la terre où l’on est, qui vous refuse toujours et que l’on peut accidentellement ou volontairement détruire.
Alors que la ville est un rhizome, quelque chose qui s’étend, contamine ; on ne sait jamais si on est dans la ville, en banlieue ou un peu plus loin, ça n’a pas de fin. Le village, la campagne, le ciel et la terre, en revanche, c’est un monde fini qui se croit éternel, comme le monde du western. Et ce monde-là aujourd’hui ressemble à une banlieue américaine où les villages sont devenus des vestiges un peu déserts.
»


Les pompiers
C. S. : « Les pompiers sont les héros d’aujourd’hui. Ce sont les guerriers de l’urgence, des catastrophes, des accidents. Ils interviennent, ils ne jugent pas, ils ne répriment pas, et ce qu’on attend d’eux c’est qu’ils protègent, qu’ils sauvent, qu’ils réparent. Ils luttent contre un mal qui nous dépasse même s’il est d’origine humaine, car il s’agit du Mal, du Malheur, du Destin. Ils sont les missionnaires de la sécurité, de la sauvegarde de la vie, avec ce que ça suppose de courage, et d’idéologie.
Quand j’ai été faire des repérages chez les pompiers, j’ai remarqué d’une part que la caserne est comme un club où chacun vient se choisir une famille de copains, que les femmes pompiers aiment faire partie de ce club d’hommes réputés séduisants, et qui sont aussi potaches et dragueurs. Cette vie en commun un peu adolescente, excessive, confortable, est le contrepoids de l’instant de bascule entre la vie et la mort dont les pompiers sont souvent les passeurs. Quant au feu ici, dans le sud de la France, c’est leur grand et noble ennemi.
Les pompiers de la caserne de Jouques m’ont beaucoup appris. J’aimais les voir être, j’avais envie de les filmer en documentaire et pourtant j’arrivais avec un scénario qui ne le permettait pas. J’ai utilisé leur façon de parler, leurs protocoles d’action qui, comme l’uniforme, les protègent de toute personnalisation, de tout sentimentalisme. Leurs gestes appris mettent de la distance, circonscrivent le drame par une technique qui ne font pas d’eux des héros à tout prix mais plutôt des officiants.
»

Adolescents
C. S. : « Ce que j’aime dans l’adolescence, comme dans l’enfance, c’est l’idée de début. Au commencement on interroge, on expérimente, on essaye.
J’aime regarder, filmer cette distance-là au monde. Je voulais que les jeunes gens arrivent à être devant la caméra les vieux enfants qu’ils sont parfois dans la vie.
Ils ne construisent pas quelque chose, ils l’essaient. Ils épuisent un possible sans le conjuguer. Ils tournent en rond. C’est la parade mais c’est aussi l’idée très abstraite d’aller au bout. De la machine, par exemple. Le manège, à cheval, ce n’est pas passionnant en soi mais c’est exactement la même idée que de faire des tours de scooters. Le travail de la bête. Les garçons travaillent le scooter et la fille travaille le cheval. J’aime raconter ce qui occupe, obsède même ces jeunes gens, quand on dit qu’ils ne font rien.
Dans l’adolescence, il y a un plaisir de la plainte, du désoeuvrement. Et ce qui est douloureux, c’est de sortir du désoeuvrement, pas d’y être. Les jeunes disent, dans les villages, "Il ne se passe rien. Ici, c’est le trou du cul du monde". Ils se laissent prendre par leur dégoût qu’ils étendent au monde entier. Ils restent dans l’ennui, ça leur paraît la seule manière d’être honnêtes envers eux-mêmes. Le désoeuvrement peut être aussi une forme de première réflexion, de résistance. Comme être dans les coulisses de la vie, ils essayent des trucs, ils s’entraînent.
»

Le feu
C. S. : « J’ai eu peur du feu et j’ai adoré ça toute mon enfance ; c’est à la fois beau et destructeur, et j’ai eu envie de m’en approcher. En écrivant le scénario j’ai d’abord réfléchi à la situation physique du personnage qui met le feu. Elle n’est pas dans les flammes, elle peut les voir, mais de loin, elle est dans les abords du feu, dans la fumée. Et puis le feu se déplace constamment et elle aussi.
Ce qui m’intéressait dans cette fiction, c’était d’affronter deux impossibles : l’animal et le feu. Ce sont deux choses contre lesquelles le cinéma ne peut rien. A moins de passer par le documentaire ou par une stylisation très artificielle qui fait passer le monde en toile de fond, comme un décor de théâtre. J’ai passé l’été 2004 et une partie de celui de 2005 avec deux personnes, à attendre qu’il y ait des feux de forêts, à me précipiter dès que l’on en annonçait un, et à arriver, en général, trop tard. J’ai néanmoins réussi à en filmer quelques-uns. Je tournais des plans documentaires du point de vue de celle qui a mis le feu, images plus lointaines, plus cachées que celles des télés ou des pompiers, mais images irréfutables qu’aucun luxe d’effets spéciaux ne pourrait simuler. Spielberg aime le «montage interdit» d’André Bazin, que l’acteur et les flammes et la fumée soient tous réunis dans le même cadre. Son spectateur est mis dans une logique du toujours plus, sachant que tout est faux et fabriqué pour son plaisir, il attend l’impossible que l’acteur/trice brûle en direct.
Pour ma part j’ai opté pour la méthode Rossellini contre celle de Spielberg! À l’inverse, Rossellini sait que le monde et sa brutalité ne doivent pas être asservis à la fiction sous peine de disparaître, ainsi il filmait Ingrid Bergman et les rues de Naples dans un champ contre champ qui montrait toute la puissance du monde et celle de la fiction en les confrontant au ras d’une collure sans les dissoudre l’un dans l’autre.
J’ai choisi de raconter la poursuite finale dans la fumée, ça me paraissait à la fois plus réel et plus abstrait. Les distances comme dans un conte ou dans un rêve devenaient mentales, romantiques. Lorsque le feu prend possession d’une forêt, il la transforme, la fumée plane, fait apparaître et disparaître les arbres le relief, au gré du vent fou, et la menace est omniprésente. Cette menace, incarnée par la fumée, tue plus sûrement encore que les flammes, elle envahit le corps l’air de rien, et l’anéantit. La mort n’est pas le spectaculaire d’une crémation splendide mais l’insidieuse pénétration d’un air toxique, qui vide les corps de leur force, de leur vie avant que, peut-être, le feu ne vienne tout dévorer.
»


Une fille met le feu …
C. S. : « Dans l’histoire, il ne suffit pas à Livia d’invoquer Dieu, de s’entraîner à embrasser, d’être païenne et religieuse, d’avoir des copains, rien ne suffit. Et elle s’avance vers son acte. Elle fait l’expérience de sa solitude, sans illusion, sans renoncement. Elle est possédée par sa passion, elle est hors d’elle, ce qui est un état très féminin. »

***

Fiche technique
Réalisation : Claire Simon
Scénarion : Claire Simon, Jérôme Beaujour et Nadège Trebal
Image : Pascale Granel et Claire Simon
Son : Julien Cloquet, François Musy et Gabriel Hafner
Montage : Julien Lacheray et Daniel Gibel
Décors : Dan Bevan
Musique : Martin Wheeler
Production : Gilles Sandoz / Maïa Films, Ruth Waldburger / Vega Film et Samuel Chauvin / Promenades Films
Avec la participation du : Centre National de la Cinématographie
Avec le soutien : de la Région Provence - Alpes-Côte d’Azur
En coproduction avec : la Télévision Suisse Romande
Avec le soutien de : l’Office Fédéral de la Culture Suisse

***




présentation réalisée avec l’aimable autorisation de



remerciements à Mélanie Vincent

logos, textes & photos © www.shellac-altern.org

Publié dans PRÉSENTATIONS

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article