• Frères d’exil

Publié le par 67-ciné.gi-2006













Frères d’exil drame de Yilmaz Arslan

avec :
Xewat Gectan, Erdal Celik, Nurettin Celik, Bulent Buyukasik, Xhiljona Ndoja, Taies Farzan et Oral Uyan


durée : 1h36
sortie le 12 avril 2006

***

Synopsis
Le jeune Kurde Azad quitte ses parents pour rejoindre son grand frère en Europe. Arrivé en Allemagne,Azad intègre un foyer d’accueil, où il rencontre Ibo, un orphelin de neuf ans, lui aussi d’origine kurde. Une profonde amitié naît entre les deux garçons. Mais une mauvaise rencontre avec deux frères d’origine turque dégénère en crime et ravive les tensions entre communautés.


***

Entretien
- : « Comment est né ce film ? »

Yilmaz Arslan : « Le projet remonte à une dizaine d’années, lorsque je vivais à Berlin et que j’étais étudiant dans une école de cinéma. Je me souviens avoir rencontré dans la rue deux hommes - deux étrangers - dont les vêtements étaient sales et déchirés. Après les avoir questionnés, ils m’ont expliqué qu’ils venaient du Kurdistan et qu’ils habitaient dans un foyer. Je me suis alors intéressé de plus près à leur sort et les ai suivis pendant six mois dans la perspective de tourner un documentaire à leur sujet. Mais je me suis rendu compte que je risquais d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur eux et j’ai abandonné le projet. Quelques années plus tard, j’ai tiré de cette expérience un scénario de fiction : Frères d’exil. »

- : « Pourquoi avoir dédié le film à Pier Paolo Pasolini ? »

Y. A. : « C’est en lisant les écrits de Pasolini que j’ai pris conscience que sa pensée me donnait beaucoup de force et de détermination. Grâce à lui, j’ai réussi à me dire que je pouvais réaliser mes propres projets et trouver ma voie. Je précise que ce sont ses idées politiques, plutôt que ses films, qui m’ont influencé. »

- : « Vous évoquez des rivalités inter-communautaires entre Kurdes et Turcs qui se déroulent en Allemagne… »

Y. A. : « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une situation propre à l’Allemagne, mais davantage universelle. Si j’ai parlé des affrontements turco-kurdes, c’est que je souhaitais en appeler à la conscience de chacun pour aller vers plus de tolérance et de compréhension de l’histoire et de la culture de l’autre. »

- : « La communauté turque semble plus intégrée que les Kurdes… »

Y. A. : « C’est tout le contraire en réalité ! Les Kurdes sont arrivés en Allemagne il y a plus de vingt ans parce qu’ils étaient persécutés en Turquie et que leur situation économique était désastreuse. Une fois en Europe, ils se sont rapidement intégrés et n’ont jamais cherché l’affrontement avec les Turcs. »

- : « Le film fait songer à une tragédie grecque… »

Y. A. : « Pour moi, la plupart des grands genres cinématographiques empruntent à la structure de la tragédie, comme le western par exemple. Mais dans la majorité des films américains, l’issue est positive… J’ai préféré, quant à moi, montrer la réalité dans toute son âpreté. Parmi les personnages, seul Azad tente - dans un premier temps - de s’opposer à l’escalade de la violence meurtrière. Malheureusement, il est très difficile de faire barrage à la violence : il existe rarement de solution positive dans ce type de situation, contrairement à ce qu’affirment la plupart des films hollywoodiens… J’ai utilisé tous les éléments importants qu’une tragédie au sens classique doit comporter. Il y a le héros et l’anti-héros, il y a Tirésias l’oracle, il y a le messager qui, chez nous, ne transmet que des messages néfastes et naturellement le choeur, composé de vieillards kurdes. »

- : « Vous opposez l’individualisme farouche d’Azad au communautarisme… »

Y. A. : « Pour moi, cette opposition est l’essence même de la tragédie. D’ailleurs, avant d’écrire le scénario, j’ai relu plusieurs tragédies classiques où l’on retrouve toujours le même schéma : la communauté impose ses lois et réduit ainsi à néant toute marge de manoeuvre individuelle. Au-delà du contexte kurde ou turc, je voulais réaffirmer la volonté d’exister d’un individu - Azad - qui refuse d’adhérer à sa communauté et qui crie à la face du monde qu’il est humain, qu’il est amoureux de la vie et qu’il aime Ibo comme son frère ! »


- : « Vous renversez la situation traditionnelle : ici l’individu se montre généreux et la communauté soucieuse de servir ses propres intérêts… »

Y. A. : « Oui et cela correspond d’ailleurs à la situation actuelle que nous renvoient les journaux télévisés en permanence : les individus sont manipulés par des idéologies communautaires qui n’ont aucun respect pour la vie humaine. Pour moi, l’individualisme est le dernier rempart contre le diktat des communautés : lui seul permet encore à l’homme de trouver sa propre voie et d’avoir du respect pour la vie. »

- : « Pourquoi avoir ouvert le film avec une scène de deuil ? »

Y. A. : « Quand on lit une tragédie classique, on sait d’avance quelle en sera l’issue, mais on poursuit la lecture malgré tout en acceptant cette convention. En commençant le film avec ce prologue, j’informe le spectateur que la seule issue est la mort. En quelque sorte, le début et la fin se rejoignent, comme dans une figure circulaire. C’est, pour moi, l’unique manière d’inscrire complètement le film dans le registre tragique. »

- : « Dès le début, tous les rapports humains sont liés à l’argent, et tout est tarifé. »

Y. A. : « J’ai une haine farouche pour cette prédominance de l’argent qui sévit partout en Europe ! Je ne suis certes pas le premier à le dire, mais l’argent a perverti les rapports humains. C’est ce que j’ai essayé de montrer à travers les personnages du film. »

- : « La violence est d’une grande crudité … »

Y. A. : « Je n’aime pas la violence. Mais je voulais montrer que la violence ne peut apporter aucune solution. Je ne voulais surtout pas d’une violence sublimée, mais d’une violence réaliste, la plus crue qu’il soit, à la limite du supportable, qui prouve que tuer un être humain est un acte atroce d’une difficulté quasi insurmontable. »

- : « Pouvez-vous me parler de la scène d’animation ? »

Y. A. : « J’avais besoin d’un peu de légèreté et d’espoir dans cet univers foncièrement sombre. Dans cette séquence, j’adopte le point de vue du petit Ibo qui ne possède pas les mots pour exprimer ses sentiments. Ce sont l’amour et la gaieté qui dominent la scène d’animation, même si on garde à l’esprit que les parents du petit garçon sont morts. »

- : « À quoi l’évocation presque onirique du tyran fait-elle référence ? »

Y. A. : « Il s’agit d’un mythe bâti autour du Newroz, le nouvel an kurde : on raconte qu’un tyran exigeait que les paysans de son royaume lui abandonnent leurs enfants. Mais un jour, un paysan se rebella et égorgea le despote, puis alluma un feu au sommet de la montagne pour faire savoir au peuple qu’il était libre. C’est cet événement qui a donné naissance au peuple kurde. »

- : « Comment avez-vous travaillé la photo du film ? »

Y. A. : « J’ai beaucoup discuté, en amont du tournage, avec le chef-opérateur, pour qui c’était son premier long métrage. Je me méfie beaucoup des éclairages artificiels, et je ne voulais surtout pas d’une lumière «esthétisante». Je suis donc allé dans une direction naturaliste, à la limite du documentaire. »


- : « Comment avez-vous choisi les jeunes comédiens du film ? »

Y. A. : « Je les ai tous trouvés par relations. Je crois que c’est en regardant quelqu’un dans les yeux qu’on peut savoir s’il pourra jouer le rôle ou pas. En général, avant toute chose, je me renseignais sur la famille des jeunes gens qui se présentaient au casting : au moment de l’audition, je ne les mettais pas en situation d’audition, mais on se mettait à discuter autour d’une tasse de thé, et c’est alors que je comprenais s’ils pouvaient faire l’affaire. J’ai donné les premiers rôles à de jeunes acteurs amateurs car je souhaitais préserver un caractère brut. Pour moi les acteurs non professionnels sont comme des animaux sauvages : on peut essayer de les dresser, mais ils garderont toujours un petit quelque chose de sauvage. »

***

Fiche technique
Scénario et réalisation : Yilmaz Arslan
Image : Jean-Francois Hensgens
Son : Laurent Benaïm
Montage : Andre Bendocchi-Alves
Décor : Regine Constant
Musique : Evgueni Galperine
Producteurs : Eric Tavitian, Eddy Géradon-Luyckx, Donato Rotunno et Yilmaz Arslan
Production : Tarantula et Yilmaz Arslan Filmproduktion
Co-production : Rhone-Alpes Cinema et Cinegate
Avec la participation de : Film Fund Luxembourg, Mfg, Hessische Filmförderung (Hff-Hr), Media, Back Up Film et Wild Bunsh

***




présentation réalisée avec l’aimable autorisation de


remerciements à
Xavier Hirigoyen
logos, textes & photos ©
www.memento-films.com

Publié dans PRÉSENTATIONS

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article